Olivier, Meriem et Kevin ont passé leurs premiers entretiens professionnels. Ils en sont ressortis humiliés.
« _ Vous êtes quoi ? Marié, célibataire, sans enfants ?
_ Je suis célibataire.
_ Quels sont vos futurs projets ? Vous comptez vous marier ?
_ Euh … je ne sais pas encore à vrai dire ..
_ Hum. Et quel est votre objectif extra-professionnel dans la vie ?
_ Et bien… pour le moment, je me projette à court terme, j’aimerais déjà décrocher un emploi.
_ Vous recherchez un CDI ou un CDD c’est ça ?
_ Oui c’est bien ça, un CDI ou CDD.
_ Un stage peut-être ? Vous n’êtes pas intéressé par un stage ?
_ (silence, malaise) »
Olivier en sourit aujourd’hui, mais il y a trois mois à la sortie de l’entretien, il a ri jaune. « Je n’aime pas quand ils rentrent trop dans le privé » et pourtant, il y a eu droit plusieurs fois. À 24 ans, le jeune homme, toujours souriant, est aujourd’hui diplômé d’un master 2 “spécialité entreprenariat”. Il affirme avoir rencontré de nombreuses difficultés pour trouver des stages. Il est passé par plusieurs plateformes, en dernière année notamment. « J’ai dû passer par un cabinet de recrutement en recherchant sur internet et j’ai réussi ainsi à trouver un stage chez Mazda France. » Diplômé en septembre 2016, il a envoyé environ 300 candidatures et a passé quelques entretiens depuis. « J’essaie d’équilibrer la balance, eux m’offrent un emploi et moi, j’offre ma force de travail, mes compétences, faut pas se dégonfler, moi, c’est comme ça que je le ressens. »
Le jeune diplômé évoque cette fâcheuse habitude chez les recruteurs de poser certaines questions jugées « inappropriées », qui ont tendance à revenir assez souvent. Bien que le droit du travail implique que toutes les questions posées lors d’un entretien de recrutement doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi : « Je n’aime pas quand ils rentrent trop dans le privé. Du genre euh, vous êtes quoi ? Marié, célibataire, sans enfants ? Quels sont vos futurs projets, vous comptez vous marier ? Pourquoi vous n’êtes pas en couple ? » Ces faits ne sont pas les seuls qui ressortent lors d’entretiens. Ce qui révolte particulièrement le jeune homme, de nature habituellement calme, c’est lorsqu’on lui reproche son manque d’expérience. Dernièrement, il en est ressorti désemparé. Les mots d’Olivier, à travers le ton de sa voix, reflètent comme un sentiment d’impuissance et de désespoir « le constat des recruteurs fut le suivant : sans appel, je suis trop jeune et je manque cruellement d’expérience… Ayant 24 ans et un bac + 5, je ne vois comment je pourrais avoir 5 années d’expérience. J’ai l’impression d’être contraint de ma réussite »
Kévin, quant à lui, a opté pour une licence de trois ans en STAPS après le bac. À 24 ans, il sort d’une formation de deux ans en master au sein d’une business school. Lorsqu’il nous raconte son vécu des entretiens, il véhicule un sentiment de frustration. « En ce qui concerne les entretiens, j’ai clairement l’impression d’aller à l’abattoir. »
Selon lui, un jeune qui cherche du boulot se doit d’envoyer une infinité de CV et de lettres de motivation et devra essuyer un nombre « incalculable » de refus. « J’ai postulé pour environ 150 candidatures, j’ai été rappelé 50 fois, et j’ai passé 5 entretiens. » confie-t-il.
Il regrette le fait qu’à notre époque, on peut avoir un bac +5 et ne pas trouver du travail alors qu’à l’époque de ses parents, un bac ou un bac +2 suffisait pour être quasiment sûr d’occuper le poste souhaité. « Quand on est jeune en France, on n’a pas de voix » affirme le jeune commercial. Néanmoins Kevin pèse ses mots et poursuit : « Lors des entretiens, ce que je ressens clairement, c’est une infériorité hiérarchique par rapport au recruteur. Il installe tout de suite une sorte de barrière, une ligne de démarcation. C’est lui le boss, c’est toi le candidat qui veut manger qui veut un travail. »
Mais c’est lorsqu’il aborde la question liée à la proposition de stages que Kevin change naturellement de ton, l’expression de son visage est synonyme d’incompréhension, une main posée sur son genou, l’autre servant à pointer du doigt : « Des entreprises me proposent d’effectuer un stage chez eux pour ensuite peut être m’embaucher alors que je postule pour un cdi … Comme si on n’avait pas fait assez de stages. Quand j’arrive parfois lors d’entretiens, on me demande « Vous recherchez quoi ? un CDD, un CDI ? » donc je réponds oui un CDD ou un CDI et tout de suite après … Un stage peut-être ?
Un stage, Meriem aimerait bien en trouver un, en priorité au sein d’une entreprise, dans l’optique notamment de pouvoir déboucher par la suite sur un CDD ou bien pourquoi pas sur un CDI. Meriem a 23 ans, elle est en Master 2 “Energie”. D’origine algérienne, elle a poursuivi ses études en France. Elle a d’abord intégré une licence en physique appliquée, puis s’est orientée vers un master. Elle n’est pas française mais dispose d’un titre de séjour étudiant qu’elle renouvelle chaque année. Depuis le mois d’octobre 2016, la jeune étudiante a envoyé en tout pas moins de trois cent candidatures pour six retours positifs donnant lieu à un entretien. « J’ai passé en tout six entretiens, je n’ai eu que des refus jusqu’à présent. » Lors de son premier entretien au sein d’un laboratoire aéronautique, le recruteur lui demande si elle est française. Meriem est algérienne. « Par la suite il m’a appelé pour me dire qu’il a annulé le stage. Je ne sais pas si c’est vrai ou si c’est parce que je suis algérienne. »
Meriem, Olivier et Kevin convergent sur une même idée. Les entretiens renferment parfois un coté malhonnête. Le recruteur parfois dévalorise. Puis il explique que l’entretien est positif tout en oubliant de rappeler. Et puis la sélection se fait sur des critères incompréhensibles. Il peut arriver que vous ayez mal choisi votre parfum ce jour-là. Meriem raconte : « il y a un étudiant qui a passé un entretien pour son stage. Il est parti bien habillé, très présentable. Il est sorti satisfait en pensant avoir gérer l’entretien. Il a été refusé. Son responsable de Master a la fac, suite à un coup de fil passé avec la RH l’a informé de la raison. En fait la dame chargée du recrutement a trouvé qu’il est venu « trop parfumé » à l’entretien. »
Comme pour Olivier et Kevin, l’expérience qui résulte des entretiens se traduit chez Meriem par un certain scepticisme. C’est un sentiment d’incompréhension partagé par nos trois jeunes enquêtés. Ce sentiment d’avoir réussi parce qu’on a répondu correctement a toutes les questions, ou parce que le recruteur n’a pas cessé de sourire. « Durant mon dernier entretien, le recruteur m’a posé des questions. Il m’a fait faire un test que j’ai bien réussi. Il avait l’air content. Il avait une feuille sur laquelle il notait devant moi je l’ai vu mettre des « ok » dans chacune des cases. J’étais satisfaite et quasi-sure d’être prise. Finalement j’ai été refusée comme d’habitude. »