Des repas du ramadan préparés sans pitié


Fatou, Nassera et Naïla se sont réunies dans la cuisine du centre Luxereau à Trappes, pour préparer des repas qu'elles ont servis à des habitants du foyer Adoma du quartier Jean Macé. Reportage.

 

« On n’a pas ressenti ce truc de « on donne par pitié » », raconte Naïla Jaaouane, présidente de l’association « les Mamans du Cœur » quand elle évoque le repas partagé organisé par l’association ce vendredi soir du mois de ramadan, pour les hommes résidant dans le foyer Adoma, anciennement Sonacotra, du quartier Jean Macé, à Trappes. Un repas cuisiné par les Mamans du Cœur, dans un esprit de « partage et de solidarité » résume Naïla, offert à une vingtaine de papas du foyer qui ont pu faire une expérience gustative enrichissante. « Ils ont pu savourer des plats meilleurs qu’au restaurant, se réjouit Naïla, avec une pointe de malice, et avec beaucoup de Baraka ("bénédiction", en arabe). »

 

Comme la plupart des Mamans du Cœur n’ont pas pu assister à ce repas en raison de leurs obligations familiales au moment de la rupture du jeûne, Naïla leur relate au téléphone, le lendemain, le déroulement de la soirée : « Les hommes étaient super contents de manger des plats de chez eux et d’ailleurs, préparés et servis » explique-t-elle. Une attention qu’ils ne reçoivent pas habituellement, surtout du fait qu’ils logent, pour la plupart d’entre eux, dans des espaces exclusivement masculins. « Sentir qu’on s’occupe d’eux comme l’aurait fait leur propre famille » a éveillé en eux une profonde nostalgie et « à réveiller leur mémoire émotionnelle », raconte Naïla, très émue.

 

« Cela éveille le partage et ramène au souvenir de son origine »

 

Un exemple : Naïla, d'origine tunisienne, a proposé une soupe marocaine à un homme algérien qui, en retour, lui a offert un ingrédient de son pays à mettre dans la soupe. « Cela éveille le partage et ramène au souvenir de son origine » illustre Naila. Ça permet aussi de créer un lien de confiance et de préparer de futurs échanges, comme dans le cadre d'un projet de recueil de la mémoire des chibanis dans ce même foyer Adoma.

 

Autrefois, lors des périodes de Ramadan, les Mamans du Cœur cuisinaient et distribuaient ces repas aux familles en situation précaire logées dans les hôtels accueillant des personnes envoyées par le 115. Mais il y a deux ans, elles se sont vu interdire de les distribuer en raison de normes d'hygiène et de sécurité plus strictes. Malgré cela, en plus des distributions très régulières ces invendus de la journée d’une boulangerie partenaire de la ville, « parfois ça nous arrive de livrer des provisions aux familles », en cas de besoin urgent, précise la présidente.

 

Cette année, faute de pouvoir distribuer leurs repas dans les hôtels, les Mamans du Cœur ont décidé de continuer cette activité au sein du foyer Adoma. Parmi elles, Fatou, une maman sénégalaise d’une quarantaine d'années, résidant à l’hôtel Première Classe à Trappes avec ses deux fils âgés de 4 et 8 ans. Depuis 2020 « dès que j’appelle pour quelque chose, elle est là », témoigne Naïla. Pour Fatou, l'une des bénévoles les plus actives de l’association, travailler avec les Mamans du Cœur est une façon de se « sentir utile en aidant les autres ».

 

 

Pour l’occasion, c’est dans la cuisine du centre socioculturel Michel Luxereau mise à disposition par la mairie de Trappes que Fatou prépare dans un ambiance chaleureuse le plat principal du repas : le thieb, spécialité du Sénégal, à base de riz et/ou de viande, poulet ou poisson. Dans la cuisine, elle est accompagnée de Nassera, une maman algérienne d’une soixantaine d'années, également très impliquée dans l’association, depuis 2018, et animée par un fort désir d’aider. « J’ai rencontré Naïla par le biais d’une connaissance », se souvient-t-elle. Pour ce repas, Nassera prépare une pâtisserie arabe à base de semoule en guise de dessert, ce qui la rend très heureuse. Contrairement à il y a deux ans, lorsqu’elle a appris que les mamans du cœur n’allaient plus cuisiner dans les hôtels : « J’étais vraiment triste » se rappelle-t-elle.

« S’ils n'ont pas le minimum de connaissances en français, ils risquent de ne pas avoir le renouvellement de titre de séjour »

 

Fatou est également très active au sein d'autres associations et organismes, toujours motivée par son désir d’aider les autres. Elle ne veut pas être seulement celle qui reçoit de l’aide mais aussi celle qui donne car « moi aussi, je veux faire des bonnes actions pour Allah » précise-t-elle, en ce mois de ramadan. Par exemple, elle nettoie bénévolement depuis deux ans la mosquée du quartier du Bois de l’Étang, à La Verrière, sans chercher de reconnaissance ni, surtout, que les gens s’apitoient sur son sort. « Ils ne savent pas où j’habite, explique-t-elle. Car je ne veux pas qu’ils aient pitié de moi quand ils vont savoir que je vis dans un hôtel ».

 

D’ailleurs, ajoute-t-elle, elle ne cherche pas à faire savoir qu’elle travaille à la mosquée, car « c’est entre moi et Dieu. ». Fatou donne également des cours d’alphabétisation pour les nouveaux arrivants, tous les jeudis matin dans la salle de paroisse de l’association le secours catholique de Trappes. « S’ils n'ont pas le minimum de connaissances en français, ils risquent de ne pas avoir le renouvellement de titre de séjour » explique-t-elle. Souvent, ces personnes sont logées dans les hôtels sociaux. Enfin, Fatou est également bénévole dans l’association « Entraide FissabilLah», une association réservée aux femmes « la aussi c'est intéressant, précise Fatou, parce que l’association réalise des actions humaines au Maroc, Mauritanie, Sénégal, Mali etc… », avec la construction de forages d'eau, l’envoi d’aide alimentaire, et financière pour les familles qui n'ont pas de quoi acheter des moutons pour l’Aïd el-Kebir, la plus importante fête musulmane.

 

À part le fait de se sentir utile aux autres, travailler avec les Mamans du cœur permet aux deux femmes de découvrir de nouvelles cultures à travers la diversité des plats cuisinés. « Moi par exemple, je suis algérienne, et je cuisine des plats de mon pays. Être ici, ça me permet de découvrir les plats des autres », se réjouit Nassera. Fatou, en plein préparation d’un plat sénégalais avec l’aide de Nassera, la rejoint sur ce point.

 

Après avoir vu combien les hommes du foyer Adoma étaient ravis, Naïla, Nassera et Fatou pensent à peut-être refaire un repas partagé pour la fin du ramadan. Eux leur ont exprimé leur gratitude en faisant des « douas » ("Invocations", en arabe) se réjouit Naïla : « Ils ont donné tout ce qu’ils ont reçu, c’est un partage de dons. Tout le monde en sort gagnant. »

 

Kandia Dramé


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