Après Normal Sup et une vie en Afrique, Emmanuel Letourneux insère à Elancourt par le numérique


Après un parcours pour le moins original, Emmanuel Letourneux, et ses Pop School d’Elancourt et de Gonesse, propose des formations au numérique aux personnes en recherche d’une insertion ou réinsertion professionnelle. Portrait.

 

« Je me suis fait virer de deux collèges pendant mon adolescence, non pas parce que j’étais mauvais, mais je n’aimais pas l’autorité », répond Emmanuel Letourneux, cinquante-sept ans, quand on lui demande pourquoi il veut aider les jeunes et les personnes en difficulté d’insertion. Aujourd’hui, en tant que responsable de la fabrique numérique d’Élancourt, il donne la possibilité à de jeunes décrocheurs scolaires de bénéficier de formations qualifiantes dans les métiers du numérique. Tous ne deviendront pas des inventeurs ou des innovateurs de la tech mais tous pourront espérer une meilleure intégration sociétale grâce à leurs compétences nouvellement acquises dans le numérique.

Ainé d’une fratrie de cinq enfants, avec un père ayant travaillé au cabinet de Michel Crépeau, ministre de l’environnement dans le gouvernement de Pierre Mauroy, et une mère assistante sociale, Emmanuel est né à Lille en 1966, et y a grandi jusqu’à ses 14 ans.

Rebelle dès son adolescence, il connait quelques frictions avec l’école, pour des problèmes de comportement. « J’étais un bon élève turbulent, confie-t-il, parmi les trois premiers de la classe mais aussi parmi les trois éléments les plus perturbateurs de l’établissement ». Armé d’« une bonne tête pour réfléchir », l’adolescent découvre le théâtre au lycée, « ce qui m’a permis de m’assagir un peu », avoue-t-il. Quelques années plus tard, bonne tête assagie, Emmanuel intègre la prestigieuse Normal Sup, section Lettres et Philosophie, dont la formation débouche sur une carrière de professeur de philosophie à l’université, à 23 ans.

Un côté « un peu anarchiste », ne souhaitant pas « rentrer dans un moule »

En parallèle, peut-être « par conflit de générations - je ne voulais pas ressembler à mon père - », explique-t-il, il continue d’écrire des scénarios de films, des pièces de théâtre, et est actif en tant que metteur en scène. « J’ai deux pièces de théâtre à mon actif. Mais bon les pièces de théâtres s’oublient à un moment », regrette-t-il. Il démissionne finalement de l’Université « pour ne faire que cela. »

Puis, admettant un côté « un peu anarchiste », ne souhaitant pas « rentrer dans un moule », celui qui revendique n’avoir « jamais été docile » dans un environnement où « les employeurs recherchent des employés dociles » va poursuivre son existence à travers des voyages sur les routes de France en caravane, et se tourne vers les arts de la rue. Cette expérience sera l’occasion pour lui de produire un documentaire « Art de la rue, les territoires de l’art » diffusé sur ARTE en 1997, et dans une cinquantaine de pays à travers le monde.

Puis c’est le temps de sa passion pour le théâtre africain, qui le pousse à sillonner, toujours en tant que metteur en scène, les routes de ce qui était alors le Zaïre (RDC actuelle), la République du Congo et plus longuement le Burkina Faso, avec la collaboration d’artistes africains locaux, avec à la clé plusieurs créations théâtrales.

« Mes associés et moi partageons une même vision d’un monde démocratique, et la conviction que le numérique s’il est bien employé réduits l’écart entre les uns et autres »

Puis, à l’âge de la maturité, « à 45 ans, après 20 ans de carrière artistique, j’opte pour une reconversion professionnelle en innovation sociale. » Pour ce faire, devenant pour l’occasion le premier de sa famille à être chef d’entreprise, cet amoureux des innovations technologiques créé sa société en 2010 avec l’ambition de faire « de l’innovation sociale au service des évolutions de la société », et d’« avoir un impact », en permettant « à tous d’être entendus dans les projets importants. »

Son entreprise intègre le groupe POP Ile-de-France en 2020, qui propose déjà des formations aux métiers émergents du numérique dans plusieurs villes du nord de la France, dont il se sent proche par les valeurs : « Mes associés et moi partageons une même vision d’un monde démocratique, et la conviction que le numérique s’il est bien employé réduits l’écart entre les uns et autres », revendique-t-il.

Ensemble, ils sont fiers de faire « partie du groupe de l’économie social et solidaire », dans lequel les propriétaires de l’entreprise ne reçoivent pas de dividendes. Mais pourquoi le choix de l’entreprise plutôt que celui de l’association ? « Pour l’efficacité, le format entreprise n’est pas mal » mais pas question d’être « une entreprise capitaliste classique qui, contre beaucoup d’argent au sommet, sert les vis à la base. On ne prend pas l’argent pour avoir mis de l’argent » explique-t-il.

Sa présence à Élancourt, il la doit au lancement par l’agglomération de Saint Quentin en Yvelines, en 2018, d’un ambitieux projet d’ouverture de campus numérique. Ce projet a proposé à des organismes de formations de former plus de 350 Yvelinois aux métiers du numérique, secteur en tension dans lequel les entreprises des Yvelines sont souvent dans l’incapacité d’embaucher suffisamment, en contrepartie de subventions et un accès facilité à des locaux.

« C’est très dur ce que nous faisons ici ! Quelqu’un qui veut un boulot pour juste se nourrir ne restera pas. »

Pour Emmanuel, c’est l’occasion de développer un nouveau combat consistant à « aider les jeunes et les adultes des milieux et des quartiers populaires » afin de leur proposer une nouvelle voie vers l’insertion sociétale par le biais des outils numériques. Les campus numériques d’Élancourt et de Gonesse, dans lesquels il travaille, disposent par ailleurs chacun d’un tiers lieu ouvert à tous. « Vous pouvez venir boire un « Pop café » et demander de l’aide sur des démarches numériques ou des conseils sur comment faire une carte de mariages ou un flyer pour votre business », explique-t-il.

Dans ces campus numériques, l’ambition des équipes est d’offrir des taches valorisantes et « à tous un métier décemment rémunéré en fonction de leur qualification. », développe-t-il. « Nous ne jugeons pas et nous les acceptons tous tels qu’ils viennent. » Mais Emmanuel prévient : « C’est très dur ce que nous faisons ici ! Quelqu’un qui veut un boulot pour juste se nourrir ne restera pas ». Car le numérique, ça reste très technique. Impossible d’y aller en dilettante : « On va leur donner des exemples de ce qu’ils ont à faire cela va les calmer tout de suite », affirme le responsable.  Conclusion : il nous faut « des gens qui sont vraiment engagés dans notre travail. »

Pourtant, ces deux campus restent à l’image de son dirigeant. Déjà, du côté des employés, constituant « une équipe ouverte et diversifiée » mais d'« un excellent niveau », aux profils souvent atypiques du fait que, selon l’entrepreneur, souvent, « quand on sort d’une université de Paris, on n’a pas envie de venir travailler en jean en banlieue avec des jeunes de quartier ou des adultes issue de milieux populaires. » Du côté des bénéficiaires aussi, on sent la patte d’Emmanuel, car « entre les candidatures et les personnes qu’on reçoit en entretien, il est vrai qu’au final on recrute pas mal de profils atypiques. »

 

Dissane KAFECHINA


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