Fille de pas de quartier : “dès qu’on descend de l’appartement on se sent regardée”
Layna*, 23 ans, habite à La verrière dans le quartier d’Orly Parc, depuis son plus jeune âge. Elle explique son rapport aux garçons et à la pression sociale qu’elle ressent dans son quartier.
Est-ce que tu te sens libre dans ton quartier ?
J’habite depuis vingt deux ans dans ce quartier et j’ai vu les mentalités changer d’année en année. Jusqu’à mes 14 ans, je pouvais rester jouer après l’école avec mes amis du quartier. Mais plus les années passaient, et plus il y avait énormément d’autres garçons qui n’étaient pas de mon quartier qui venaient traîner. Très vite j’ai commencé à sortir de moins en moins. Et puis les mentalités ont évolué petit à petit, pas forcément du bon côté. Depuis je ne me sens absolument pas à l’aise quand je suis dehors au quartier. Même parfois quand je rentre du travail, je me sens observée, puisqu’ils n’ont pas l’habitude de me voir dehors. C’est très gênant.
En quoi les filles n’ont pas les mêmes droits que les garçons dans le quartier ?
La problématique que l’on retrouve régulièrement dans les quartiers, c’est qu’il y a des garçons beaucoup plus grands que nous, qui fréquentent des garçons de notre âge, et qui rendent nos sorties beaucoup plus compliquées. Déjà c’est des gens qu’on ne connaît pas, alors s’ils sont plus âgés que nous, c’est encore plus gênant, je trouve. C’est toujours compliqué pour une ou deux filles, de sortir dehors face à une grande bande de garçons posés en bas, les regards rivés sur toi. On a un petit peu l’impression qu’ils voient des moments intimes nous concernant. On est souvent habillé différemment de l’école, parfois même je descends en pyjama ou mal habillé le dimanche surtout ou même les cheveux en pétard. Si c’étaient seulement des garçons d’autres quartiers, mais qu’on avait l’habitude de fréquenter, ou même ceux qui était à l’école avec nous, c’est déjà un peu moins gênant. Mais ça reste toujours différent de se voir à l’extérieur du système scolaire.
Pourquoi les filles n’ont pas autant le droit de traîner dans le quartier que les garçons selon toi ?
Je ne dirais pas que c’est une interdiction aujourd’hui pour les filles de traîner dans les quartiers. C’est abusé de dire ça. Je trouve que c’est plus nous-mêmes qui nous mettons des barrières, puisqu’on ne se sent pas à notre place. Ce n’est pas un monde qui nous correspond, le froid, la nuit, souvent beaucoup de cigarettes ou autre. Les garçons traînent dehors souvent jusqu’à pas d’heure. Les filles beaucoup moins. Mais aujourd’hui personne ne va interdire à une fille de se balader dans son quartier.. faut être fou ! Il y a souvent des histoires pas très claires dans les quartiers, je trouve que ce n’est pas un lieu pour les filles. En tout cas je ne traine pas là-bas moi. Et mes copines non plus.
Est-ce que tu sens une pression sociale au niveau de l’habillement quand tu es dans ton quartier ?
Bien sûr, depuis toute petite, je fais attention à ça. Au final, dès qu’on descend de l’appartement on se sent regardée par les gens de chez nous. Ce n’est pas méchant, mais les garçons veulent souvent protéger les filles de leur quartier et il n’aime pas les voir habillées de manière provoquante. J’ai l’impression qu’on représente un peu leur quartier dehors. C’est bizarre… je n’arrive pas vraiment à l’expliquer. Si on se fait critiquer par les quartiers voisins ça sera la honte pour nous et pour eux. Après je trouve que le mot « pression » est un grand mot quand même. Je m’habille comme je veux aujourd’hui mais je fais juste attention à ce qu’on ne voit pas trop mes formes quand je sais que je passe devant eux en sortant. C’est plus pour que je me sente à l’aise moi.
Pourquoi est-ce que les liens des filles et des garçons ont changé en grandissant, selon toi ?
Il y a une certaine pudeur qu’ils installent au fur et à mesure que l’on grandit. C’est normal, même dans notre famille c’est comme ça avec nos parents. Et les garçons des quartiers en général aussi ne sont pas forcément à l’aise avec celles qui reste très fofolles et qui traînent avec eux en bas. Les réputations aujourd’hui ça va très vite..
Malheureusement. Dès qu’on te voit traîner le soir tard en bas avec les garçons des quartiers, on parle directement mal de toi et on s’imagine des trucs de dingue. Et puis aussi les fréquentations qui jouent beaucoup, dès que les filles reconnaissent des garçons souvent dans des histoires un peu bizarres ou de qui on parle beaucoup en mal, elles ont tendance à beaucoup plus s’éloigner.
Quels sont tes rapports avec les garçons du quartier ?
La plupart, ce sont des gens que je connais depuis toute petite, mais pour beaucoup on se dit seulement « bonjour » . Avec d’autre je vais pouvoir discuter un peu. Et pour d’autres on se dit même plus « bonjour ». C’est complexe parce qu’il y a souvent des histoires d’amour qui se créent entre certaines personnes du quartier et qui rendent les relations beaucoup plus froides quand ça se finit mal. Et puis en grandissant chacun prend son chemin, c’est normal. Mais il y a toujours une sorte de respect qui s’installe entre nous, peu importe si on se parle ou non.
Comment ça ?
Quand ils me voient passer avec ma mère, ils nous disent « bonjour » et même quand je ne suis pas là ils aident ma mère à monter les courses, porter la poussette ou même à se garer. C’est ça qui est bien d’habiter dans un quartier, il y a souvent beaucoup d’entraide entre nous. Moi, je sais que demain je vois la maman de l’un d’entre eux, je serai la première à les aider pour monter les courses par exemple.
Est-ce que tu t’imagines traîner avec un garçon dans le quartier ?
Traîner, c’est un grand mot. Je pourrais rester pour échanger avec un pote quelques minutes si je rencontre un garçon qui me parle, mais c’est tout. Je vais jamais rester assise avec eux un après-midi. Je trouve que ce n’est pas ma place et ça ne m’intéresse pas de rester assise en bas de chez moi (rires). Je trouve ça ridicule. Aujourd’hui on a à peu près tous le permis ou une carte navigo il y a beaucoup plus de choses intéressantes à faire.
Par qui te sens-tu le plus surveillée dans le quartier ? Tes parents, tes grands frères, d’autres filles ?
Je ne me sens pas très surveillée parce que je traîne pas en bas. Mais je sais que si j’avais pour habitude de traîner avec les garçons de mon quartier, ma mère ne serait absolument pas d’accord et me ferait des reproches régulièrement. Elle trouve que les garçons traînent beaucoup trop et qu’ils sont parfois louches dans leur manière de se comporter et sur ce qu’ils font. J’ai un petit frère de 10 ans et elle me dit qu’elle ne veut pas qu’il traîne trop longtemps en bas pour jouer au foot à cause de ça justement. Elle a peur pour ses fréquentations sur le long terme. Je sais que mes parents veulent déménager ces prochaines années pour partir dans un coin beaucoup plus calme et pour que mon frère grandisse sans ces fréquentations, et sans ce « mood quartier » avec la police qui déboule tout le temps pour les contrôler sans raison valable.
C’est régulier ce type de contrôle ?
Dès qu’il fait beau, ils sont toujours en bas pour nous contrôler. C’est aussi pour ça que nous les filles on ne veut jamais rester avec eux. Pour nous la police doit intervenir dans des moments graves alors quand on les voit par la fenêtre en bas on se demande toujours ce qui se passe. Mais souvent on apprend que c’était juste un simple contrôle ou qu’ils sont juste là pour les embêter alors qu’ils jouent au foot. Aujourd’hui même nos parents sont habitués, on se pose même plus la question quand les policiers sont en bas. Mais si je me retrouve au même moment en bas, ma mère va péter un plomb.
Pourquoi est-ce que les garçons ont plus de liberté que les filles au sein des familles ?
On est dans un monde de plus en plus complexe, on entend des choses de plus en plus absurdes et forcément nos parents sont beaucoup plus inquiets pour leurs enfants en général mais particulièrement leurs filles. Donc forcément nos parents nous laissent beaucoup moins sortir par peur qu’il nous arrive quelque chose. Les garçons c’est toujours plus compliqué de les bloquer à la maison qu’une fille. Souvent ils ne respectent pas les consignes des parents, ou ils veulent toujours sortir et ne pas rester enfermés. Alors que nous, on a souvent peur de notre père en particulier. Et s’il refuse qu’on sorte, on respecte les consignes.
Quel est le statut des filles dans les familles par rapport aux garçons selon toi ?
Les filles sont souvent celle qui doivent absolument réussir à l’école, ramener un mari le plus tôt possible qui correspond aux attentes de leurs parents et qui ne ramène jamais aucun problème. Les garçons sont toujours ceux qui sont un peu plus durs dans la famille. Les filles doivent montrer l’exemple, doivent savoir faire à manger, le ménage, tenir une maison etc.. Mais chez moi, on apprend exactement les mêmes choses à mon petit frère. C’est important que l’homme aide la femme.
Est-ce que tu as l’impression que les filles doivent faire plus de tâches ménagères que leurs frères ?
Mes parents ne nous ont jamais éduqués comme ça. J’ai une sœur de 17 ans et un petit frère de 10 ans et à la maison tout le monde fait exactement les mêmes choses. C’est vrai que ma mère protège beaucoup plus son fils, elle est toujours inquiète dès qu’il s’est fait mal etc.., c’est le petit dernier quoi ! (rires) Mais en ce qui concerne les tâches ménagères, on fait tous la même chose. Je n’ai jamais ressenti que mon père faisait beaucoup moins que ma mère. Au contraire, il est toujours présent et il l’aide au quotidien. S’il apprend que mon petit frère ne veut pas nous aider il le tue. Mais on n’a jamais eu de soucis, on a toujours pu compter sur lui.
Est-ce que tu as vécu ou tu as été témoin de violence, physique ou psychologique, des garçons envers les filles, soit au sein de couples, ou bien pour « jouer » ?
Non, jamais ce n’est très rare. Les garçons des quartiers sont souvent les plus respectueux envers les filles. Soit ils ne les calculent pas du tout soit au contraire ils les protègent. Mais jamais de violence physique envers les filles. Ça serait vraiment la guerre. On a tous grandi ensemble. Je n’imagine même pas qu’on pourrait se faire ça.
Propos recueillis par Natacha Nedjam
*le prénom a été modifié