Dans le cadre du programme de mobilité internationale avec l’association Récipro’Cités qui m’a été proposé par la préfecture des Yvelines via le délégué du gouvernement à Trappes, Monsieur Olivier Vandard, j’ai rencontré Jessica Yamoah lors d’une visite au “The Joe Frech Center for Innovation”. J’ai adoré le lieu, mais aussi la personnalité de Jessica et la start-up qu’elle a fondée. Je lui ai proposé de se revoir le lendemain.
Lorsque Jessica Yamoah entre dans les bureaux de La Passerelle pour l’entretien, son impact est considérable. Chapka en fourrure noire, lunettes de soleil, écharpe assortie, sac à main noir et bottes en cuir, elle me rappelle le livre tiré de la série de Netflix “#GirlBoss”. Quand je réfléchis à l’histoire de ma vie, il y a plusieurs femmes qui ont joué un rôle déterminant dans ma construction personnelle. Ça continue ici : c’est la deuxième femme inspirante que je rencontre lors de ce périple.
Jessica est née à Waterloo, au Canada, à 45 min de Toronto et des bords du lac Ontario. Le père de Jessica a émigré du Ghana dans les années 70 afin de continuer ses études, avant d’être rejoint par sa mère qui donnera naissance à Jessica au Canada. J’ai parfois ressenti qu’au Canada, demander l’origine d’une personne était mal perçu, comme si la question sous-entendait que la personne n’était pas vraiment canadienne. Jessica en a une perception différente. Dans ce pays composé presque totalement d’immigrés et d’enfants d’immigrés, Jessica assume totalement l’origine de sa famille : “Je suis Canadienne d’origine du Ghana”.
À la fin de ses études secondaires, attirée par l’étude du comportement des êtres humaines en société, elle commence des études en sociologie et ethnologie. Pourtant, c’est comme si sa culture familiale remontait à la surface. Au Ghana, son grand-père était un homme d’affaires et disposait d’un grand réseau : “J’ai fait mes études dans le social, mais j’ai toujours aimé le business. Mais je n’aime pas les mathématiques, du coup je n’ai pas souhaité faire de l’économie à l’université”, explique-t-elle.
Sa carrière professionnelle commence brillamment lorsqu’elle intègre un programme étudiant chez Nike : “Ils cherchaient quelqu’un qui parlait bien français. J’ai été dans le bon timing.” À la fin de ses études, Nike lui propose de travailler à temps plein pour l’entreprise. Elle y travaillera 6 ans avant d’intégrer le monde des technologies chez Nokia. Puis elle s’engage chez “My Thumb” une start-up de texto et de marketing, avant d’arriver chez Apple.
Jessica n’a d’expérience que dans des grandes entreprises et pourtant, sa démarche reste modeste : ” Avoir travaillé dans ces grandes entreprises à été une expérience fantastique, même s’il y a eu des jours difficiles”. Les salaires sont élevés, les collaborateurs sont souvent des personnes très intelligentes et passionnées. Et puis : “Quand tu travailles chez Apple ou Nike, partout ou tu vas dans le monde il y a une forme de reconnaissance.” Pourtant, elle se souvient : “Les employés lambda avaient le droit à l’erreur, mais moi je sentais que je devais faire le maximum pour être irréprochable. Quand tu es une femme noire, il faut être dix fois plus patiente et dix fois plus performante.”
C’est une des raisons qui ont justifié son choix d’avoir quitté un grand groupe pour rejoindre la start-up StyleID mais aussi d’avoir commencé son engagement associatif. “J’ai beaucoup appris et développé mes compétences. Aujourd’hui, elles sont au service de StyleID”. Cela n’a pas toujours été bien compris par sa famille : “Je travaille parfois 15 heures par jour chez moi devant mon ordinateur. Alors ma famille a commencé à se poser des questions”, dit-elle en riant. “Ils ne sont pas habitués à cette nouvelle forme de travail et au monde des start-ups. Pour eux, réussir c’est être avocat, médecin ou ingénieur dans un grand cabinet ou une grande entreprise. Le problème, c’est que dans les grandes entreprises, tu n’es qu’un individu parmi tant d’autres.” De plus, au lancement d’une start-up, les résultats ne sont pas immédiats, alors que l’investissement personnel est gigantesque : ” Lorsque ma famille a commencé à voir des publications, mon bureau chez Joe Fresh, ils ont été rassurés et m’ont dit que c’était super ce que je faisais.”
“Juste avant d’entrer chez Apple, alors que je cherchais du travail, on m’a parlé de Sarah.” Les deux femmes se rencontrent dans un café de Waterloo. Sarah a aussi grandi à Waterloo, y est allée à l’université où elle a étudié la musique. Sarah bosse dans l’industrie musicale où elle organise des évènements. Au terme de leur rencontre, elles se promettent de réaliser des projets ensemble. Elles commencent par organiser un événement pour une association d’enfants autistes.
Sarah et Jessica présentant leur start-up StyleID
Jessica se souvient : “Un jour Sarah était devant la télé, et je l’entends dire : “Wow, ce vêtement est top. Si seulement je pouvais me le procurer pour mes événements !” En 2014 Sarah a l’idée de créer StyleID. Jessica embarque dans l’aventure dès le début et aide son amie et collaboratrice Sarah à développer son projet. “Sarah et moi sommes très complémentaires, j’aime le contact, prendre mon téléphone et parler aux gens. Sarah préfère faire des recherches et peaufiner les détails du projet.” StyleID a rapidement du succès et réussit à décrocher un programme d’incubation, porté par Google, visant à accompagner les projets de création d’entreprise. Aujourd’hui, Sarah et Jessica ont leur bureau chez Joe Fresh, un centre pour développer l’innovation dans le monde de la mode. Ils sont désormais 7 dans l’équipe.
Au mois de janvier 2017, elles décident de créer l’association ” Innovate Inclusion ” pour militer pour plus de diversité dans les incubateurs. “Nous avons constaté que dans les incubateurs, il n’y avait pas beaucoup de femmes et de diversité.” “Si tu es habitué à manger du Mac Donald et que quelqu’un te propose du Tim Horton (Ndlr : le Starbucks canadien) tu vas refuser.” C’est sa manière d’expliquer que les dirigeants des incubateurs peuvent avoir une tendance, consciente ou inconsciente, à sélectionner toujours les mêmes personnes. L’association devrait rencontrer prochainement l’administration à Ottawa pour approfondir le sujet : “Comme il existe des quotas pour les produits canadiens, et pour favoriser la langue française, nous souhaiterions qu’il en existe pour favoriser la diversité dans les incubateurs.” Sarah est convaincue par l’objet de son combat : “Nos parents ont travaillé longtemps pour participer au développement de notre pays. Et la plupart des incubateurs sont des organismes financés par l’état.” Elle estime que tout le monde devrait avoir la chance de se voir accompagné et de concrétiser ses idées dans de tels incubateurs. Pour elle, l’enjeu économique et social est de taille : “Aujourd’hui, le monde parle en termes de technologie et d’innovation. Si nous voulons avoir une place dans la révolution digitale, nous devons exprimer notre voix et nos idées.”
La prochaine étape de l’association, c’est de rencontrer les incubateurs pour réunir des données statistiques sur les populations qui y sont présentes. Et puis, il s’agit de faire connaître le plus largement possible les évolutions rapides qui existent dans le secteur du digital : “Nous voulons aller dans les quartiers pour montrer les différents programmes d’incubations qui existent.”