Michaël (le prénom a été modifié), 20 ans, résident du quartier de Léo Lagrange à Trappes est livreur depuis le début de l’année, mais lui aussi souhaite reprendre ses études dès l’année prochaine pour se redonner de meilleures perspectives d’avenir.
« Après le bac, j’avais qu’une envie, c’était de rentrer dans le monde du travail. Maintenant je regrette », concède Michaël, 22 ans. Diplômé d’un bac pro obtenu au lycée Dumont‑d’Urville de Maurepas, il a occupé de nombreux jobs ces dernières années qui lui font regretter sa vie d’étudiant. Chauffeur-livreur à Chronopost, serveur dans un Quick, vendeur chez Nike et livreur à la Poste, « je ne me rendais pas compte que la vie était difficile, surtout sans études. Ça va faire trois ans que j’ai mon bac et je n’ai pas pu trouver un travail correct, qui me plaisait malgré les différents métiers que j’ai déjà testés »
À l’époque, il ressentait un besoin urgent « de gagner mon argent. Depuis mes 15 ans, j’ai toujours vu ma mère galérer entre des boulots de serveuse, d’aide-soignante ou de vendeuse et les fins de mois difficiles où elle n’arrivait même plus à faire des courses, ou à payer pour l’éducation de mes frères et sœur. On ne parle même pas de se faire plaisir ! » Aujourd’hui, la mère de Michaël, arrivée en France du Sénégal à l’âge de 12 ans avec ses 10 frères et sœurs, élève seule ses deux fils de 22 et 17 ans et sa fille de 9 ans. « Mes parents ont divorcé depuis sept ans. Ils sont en conflit tous les deux. ». Depuis, il explique ne voir son père que très rarement. « Je suis le plus grand, donc il n’y a que moi qui peut l’aider et lui donner de l’argent »
"On ne se rendait pas compte de l’importance de l’école."
Au moment de décrocher scolairement, le jeune homme ne s’est pas senti agir étrangement. « Aucun de mes potes n’a continué après le bac. Voire ils ne l’ont même pas eu. » Habitués à sortir, même en semaine, jusqu’à des heures tardives, entre 23h et minuit, « ils n’étaient plus motivés par l’école. Ils voulaient tous travailler et gagner de l’argent », explique-t-il. Tous ont presque le même profil que lui, des jeunes voulant réussir mais plongés dans des difficultés sociales, ayant grandi dans des petits logements, une chambre partagée avec les frères et sœurs, les parents manquant d’argent.
Michaël est parfois nostalgique de cette époque d’enfance où il faisait partie de cette bande d’adolescents un peu inconscients. « Il y en avait toujours un dans la classe qui était grave dans les études, et moi j’essayais de le suivre, mais la plupart du temps on sortait du bus, on courrait chez nous pour jeter notre sac et on ressortait directement ! On ne se rendait pas compte de l’importance de l’école », concède-t-il.
Pourtant, le jeune homme a toujours été un bon élève pendant ses années de lycée. « J’ai toujours eu des bonnes notes » assure-t-il, même s’il confie, en shootant dans la balle de foot des petits en train de jouer dans le city stade en face de nous, « quand j’étais petit, j’étais un peu dyslexique. Ça ne m’a pas aidé pour mes études, mais j’ai vu des spécialistes et aujourd’hui ça va mieux ».
Aujourd’hui, regrettant sa vie étudiante trop vite terminée, il souhaite reprendre ses études pour espérer avoir un meilleur statut dans une entreprise qui lui proposera un travail qui lui plaira. Il souhaite s’inscrire « en BTS “négociation digitalisation de la relation client” à Poissy », comme un certain nombre de ses amis qui ont suivi la même formation. « Il n’y a pas de raison que je ne l’aie pas » se rassure-t-il. Pressé de reprendre l’école, Michaël recherche une alternance depuis déjà plus d’un mois. Satisfait, « parce que j’ai plusieurs entretiens », il pense pouvoir trouver un poste rapidement.
"Je sais qu’en reprenant en alternance, je vais gagner beaucoup moins que maintenant, et je ne pourrai pas aider ma mère."
Son statut dans sa famille l’a un peu freiné pour reprendre plus tôt. « Ça fait deux ans que j’envisage de reprendre, mais je sais qu’en reprenant en alternance, je vais gagner beaucoup moins que maintenant, et je ne pourrai pas aider ma mère. Déjà que je gagne un peu plus qu’un smic et que j’arrive à peine à l’aider, si je gagne moins ça sera une vraie galère ». Et Michaël ne peut compter sur personne dans sa famille pour aider sa mère le temps qu’il reprenne ses études. En prévention, il a économisé toute cette année et mis un peu d’argent de côté pour aider sa mère comme il le pourra l’année prochaine. « Ma mère ne veut pas me priver de continuer mes études pour elle, mais d’un côté je sais qu’elle n’a aucune solution. »
Mais un certain nombre d’éléments le poussent à reprendre. Notamment sa copine âgée de 21 ans, avec laquelle il est en couple depuis 6 ans, alors qu’ils étaient dans la même classe de 3ème, et qui l’encourage à reprendre ses études en vue de pouvoir assurer son avenir qu’ils envisagent ensemble. Son parcours scolaire le stimule, elle qui est actuellement en bac+3 dans une école de commerce à la Défense, et qui souhaite continuer jusqu’en bac +5. « Quand je vois qu’elle a fait des études, ça me pousse aussi à en faire. Et elle a fait ce BTS » », admet-il. Même si, résidant avec ses deux parents et sa sœur dans un appartement près de la bibliothèque universitaire à Saint-Quentin-en-Yvelines, « elle n’a pas les mêmes problèmes que moi pour réviser ses contrôles. Quand t’es toute seule dans ta chambre plutôt qu’avec tes deux petits frères qui ne font que crier toute la journée… »
Et puis, Michaël veut améliorer l’image qu’il a de lui-même. « Même face à ses parents », et notamment auprès de son père, mécanicien chez Renault. « Je ne me sens pas valorisé. Quand ils voient que leur fille a fait des études et que moi je me suis arrêté à bac pro, ça ne fait pas très bien, quoi », confie-t-il.
Cette reprise d’études, il le sait, changera les habitudes du couple, qui ne pourra plus se voir autant. « Avec les devoirs de chacun, les différents horaires avec l’alternance et le rythme qui change, c’est sûr qu’on n’aura pas la même vie qu’avant. » Michaël ne travaillera plus de 6h à 14h comme actuellement, et ne sera plus disponible dès qu’elle finit l’école. Mais pour lui ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est de pouvoir de nouveau se projeter dans un avenir plein de perspectives et d’espoir. « J’ai hâte de pouvoir finir ces deux années de BTS, se projette-t-il, qui me permettront d’avoir un meilleur statut en entreprise. »
Natacha Nedjam