Rico, récit d’une politisation de la droite au militantisme de gauche
Rico est devenu sur le tard militant actif d’un parti politique de gauche alors qu’il a grandi dans une famille de droite. Retour sur un parcours de politisation, en partenariat avec le M2 Développement Social Urbain de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
En 1981, Rico, aujourd’hui 55 ans, a 15 ans. Mitterrand vient d’être élu. Lors d’un repas de famille, il entend ses parents, commerçant propriétaires d’un magasin de plomberie, se plaindre d’une “catastrophe” imminente. “Ils pensaient que le PS allait instaurer une forme de dictature de gauche. Je ne comprenais pas très bien à l’époque, mais j’en déduis qu’ils étaient des conservateurs de droite.” Son père, ancien jeune soldat de 17 ans blessé pendant la seconde guerre mondiale où il fut opéré d’une jambe, est bénéficiaire d’une indemnité et d’une pension de guerre lui ayant permis d’ouvrir un commerce avec sa femme. De ses parents catholiques, Rico, fils unique, se souvient avoir reçu une éducation chrétienne et avoir accompagné régulièrement sa mère à la messe : “Je suis allé au catéchisme quand j’étais enfant. J’ai eu la foi jusqu’à l’âge de 10−11−12 ans », se remémore-t-il. “Il a fallu que je m’extirpe de cette culture familiale, ressent Rico, j’ai pu prendre du recul par rapport à ma famille, recul que je n’avais pas du tout au début du collège”.
Le collège, il le fera en ville, à Poitiers après, alors qu’il a neuf ans, que ses parents aient décidé de quitter leur village de Charroux, dans le département de la Vienne en Nouvelle Aquitaine. Au collège, il fait la rencontre de deux amis dont les profils n’existaient ni dans son village, ni dans son environnement familial. Gilbert tout d’abord, métis de père cadre martiniquais et de mère enseignante, “habitait dans une belle maison, grosse maison. Donc de l’argent dans la famille, de l’éducation, la culture. Et une culture métisse, une solide culture française, un amour des arts et plutôt ancré socialiste.” Ainsi que Maël, dont les parents “étaient des prolos, d’origine belge », dont le père avait fait de la prison, et dont la famille vivait à cinq dans un petit appartement « à la zup. Beaucoup moins de pognon”.
"Mes amis avaient une culture que moi je n’avais pas, un recul politique que moi j’avais pas. J’ai pu rencontrer les idées de gauche, le socialisme, le marxisme, le communisme, l’écologie, tout ce que dans ma famille je ne rencontrai pas."
Il y rencontre aussi des fils de journalistes et « un milieu musical où on aimait les arts et les lettres. ». Il se souvient : « Mes amis avaient une culture que moi je n’avais pas, un recul politique que moi j’avais pas. J’ai pu rencontrer les idées de gauche, le socialisme, le marxisme, le communisme, l’écologie, tout ce que dans ma famille je ne rencontrai pas. La littérature aussi, le goût des livres. Même si mes parents avaient aussi le goût des livres mais beaucoup moins ”
Au lycée ses amis proches font philo, français, lettres. Pas Rico. “J’ai choisi de faire l’apprentissage. Chez un patron, 3 semaines par mois et puis 1 semaine par mois au CFA. Ça été une catastrophe”, relate-t-il. Manquant de motivation, ne sachant pas ce qu’il souhaitait faire dans la vie, il n’obtient pas son CAP. “Après, j’ai fait de la musique pendant 10 ans de la musique classique, du jazz”. C’est aussi à cette époque que Rico a un enfant, né en 1993, en garde alterné, une semaine chez lui, une semaine chez sa mère, après s’être séparé de sa maman. Il vit alors dans un univers là aussi différent de son univers familial d’origine, mais “ avec des gens assez peu politisés, je dirais”.
Les choses s’accélèrent pour lui de ce côté-là en 2005. A la Fédération des Conseils des Parents d’Élève (FCPE), qu’il découvre lors des réunions de parents d’élèves dans l’école de son fils. Il commence à s’engager, occupe des postes de responsabilité locales puis départementales. “j’ai rencontré des gens qui étaient politisés par le biais de l’association, mais aussi par leur participation à des partis politiques, des gens de tous bords, du parti socialiste jusqu’au reste de la gauche ” se souvient-il. Curieux et insatisfait de sa vie, il milite bientôt “de manière intense et régulière”, s’y fait des amis, dont Mimi et ses deux enfants, enseignante de Français, avec laquelle il est toujours en couple. En 2007, Mélenchon et ses amis quittent le parti socialiste pour faire le parti de gauche, ” juste avant les européennes”, c’est une révélation. “Mimi et moi on va à la première réunion d’information à Poitiers et on y adhère tout de suite.”
"On a vu l’opportunité de recommencer à militer au sein d’un mouvement qui nous plaisait, à cause de la stratégie qui nous paraissait moins ambigu, plus radicale. Tout ça m’a plu."
Il y prend des responsabilités tout de suite. “J’étais un militant. Je passais tout mon temps libre à militer au parti de gauche.” Mais rapidement, il est déçu. Rico, qui dit de lui ne pas se laisser « marcher dessus », raconte y voir « un processus de création d’une petite classe d’oligarchie », d’un petit groupe d’amis au sein du comité local dont il se rappelle qu’ils se choisissaient et “qui choisissaient d’exclure celles et ceux qui ne les plaisaient pas.” Au bout d’un moment il démissionne du parti, “énormément déçu, souligne-t-il. Pas par le parti de gauche au niveau national, mais par ce qui se passait dans la Vienne”. Là, “vraiment dégouté”, il fait une pause. Il démissionne aussi de la FCPE. “Et puis se crée la France Insoumise. Mimi et moi, et les autres amis qui avaient démissionné, on a vu l’opportunité de recommencer à militer au sein d’un mouvement qui nous plaisait, à cause de la stratégie qui nous paraissait moins ambigu, plus radicale. Tout ça m’a plu ». Rico raconte qu’avec son fils, qui a bien grandi, un écart géographique et sociologique s’est créé. “Là il habite chez sa mère, qui travaille à Paris. Il est étudiant. Et moi je suis un ouvrier”, jardinier des espaces verts dans la fonction publique territoriale pour une mairie depuis 2018. Mais quand il est sur son lieu de travail, Rico ne parle pas politique. Contrairement à ce qu’il fait lors de son temps libre, qu’il utilise dorénavant à militer, comme toujours, “de manière intensive”.
Ibrahim Kone
Cet article a été produit en collaboration avec le Master 2 ” Sociologie Politiques sociales territorialisées et Développement social urbain ” de l’université de Saint‐Quentin‐en‐Yvelines.