Trouve ton job d’abord


Pas facile de se former, de se projeter, et de trouver un job quand on est une étudiante sans grand réseau. Reportage

 

« Sans elle, je ne sais pas si j’aurais pu trouver un stage, surtout en plein covid », concède Mariama (les prénoms ont été changés), 19 ans, étudiante en 2e année de DUT, qui a trouvé son stage de première année au sein d’une association, par le biais d’une de ses professeures. « Alors que j’ai postulé dans 50 000 entreprises ! », ajoute-t-elle en exagérant. En fait dans une cinquantaine, en ligne. Elle s’était également déplacée pour déposer spontanément des CV dans plusieurs entreprises. Sans un retour favorable. Son amie Halima aussi, même âge et même formation, a utilisé son réseau pour trouver le sien. Heureusement, explique la jeune femme, « sachant qu’on était en période de covid, je ne me voyais pas aller déposer mes CV partout. »

Dans leur classe, « il doit y avoir maximum 5 personnes qui ont eu leur stage sans passer par un réseau », en envoyant simplement des CV, estime Halima. Pour les deux étudiantes originaires de Trappes, le réseau dans le monde professionnel, “tout part de là en fait. Si t’as un réseau, tu vas avancer plus vite que si t’en n’as pas. Si t’en n’as pas, ça va être compliqué”, explique Mariama. “J’ai même envie de dire : ”si tu n’as pas de réseau, t’as très peu, voire aucune porte qui s’ouvre à toi” confirme Halima. Surtout, explique-t-elle, le réseau, dans cette période de la vie professionnelle, c’est ce qui permet de savoir “où se diriger pour chercher un travail ou un stage”.

Je me suis dit : “Halima, t’as maintenant 18 ans, tu dois travailler pour passer le permis, acheter une voiture”

Le réseau, pour les stages et les petits boulots, les jeunes femmes en ont donc. A 18 ans, grâce à des amies travaillant là-bas, Mariama apprend qu’un magasin de vente de petits produits pas chers pour la maison, à Coignières, recrute. Après être allée déposer son CV et sa lettre de motivation, elle décroche un travail. « Si je ne connaissais pas des gens qui ont travaillé là-bas, je n’aurais jamais postulé parce que je ne savais pas qu’ils recrutaient », raconte-t-elle. Ensuite, à la fin de son contrat, grâce à une amie lui ayant parlé d’une agence d’intérim en ligne, elle s’inscrit et effectue des missions en intérim dans un magasin de vêtements à Plaisir, une ville proche où elle se rend en transport en commun ou en voiture avec Halima. Actuellement, elle travaille à Auchan à Maurepas où elle « avait postulé en candidature spontanée sur internet”. Une exception. Elle y emballe et met en rayon les gâteaux produits par les pâtissiers. Elle les vend elle-même directement le samedi, sur des stands montés spécialement dans le magasin.

De son côté Halima travaille également dans une grande surface depuis maintenant un an à Élancourt, à cinq minutes en voiture de Trappes. « Je me suis dit : “Halima, t’as maintenant 18 ans, tu dois travailler pour passer le permis, acheter une voiture” » se rappelle-t-elle. Elle aussi a trouvé ce job par le biais d’une amie « qui m’a passé le contact du responsable ». Et comme Mariama, elle s’est inscrite dès 18 ans sur plusieurs sites d’intérims, uniquement sur Internet, grâce auxquels elle trouve rapidement une mission dans un magasin de vêtements.

Par contre le réseau pour le boulot, le vrai, celui qui doit payer plus tard le loyer et les factures, c’est plus compliqué. Les jeunes femmes en ont un peu moins et sont de ce fait un peu plus perdues. Déjà, elles ont du mal à savoir dans quels domaines se spécialiser, bien que la réalité du monde du travail pourrait être proche, puisqu’il leur reste 3 ans d’études au maximum. Après leur DUT, les deux amies comptent poursuivre avec une licence générale, et, surtout si elles ne savent pas bien quel métier choisir, continuer le plus loin possible, jusqu’en master 2, de préférence en alternance car « c’est un avantage que les entreprises prendront en considération » raconte Mariama.

Grâce à ses expériences professionnelles, l’étudiante pense « savoir comment ça va être. Donc je n’appréhende pas », même si sur un marché du travail où de nombreuses personnes doivent avoir le même profil qu’elle, son amie Halima craint d’avoir des difficultés à suffisamment se démarquer. Elle avoue appréhender le monde du travail, le vrai. Ce qui lui fait le plus peur, c’est de ne pas trouver le métier qui lui plaît, dans une entreprise qui lui plaît. “Si je suis dans une entreprise qui me plaît pas, je me casse” confie-t-elle. Cette facilité à se projeter dans la fuite vient aussi peut-être du fait qu’elle ne se voit pas travailler toute sa vie avec quelqu’un « au-dessus » d’elle, « un chef, un patron ».

"Maintenant, on n’a plus besoin de me dire quoi faire, je vais le faire de moi-même"

Autre inconnue qui fait particulièrement peur à Halima, « l’hypocrisie de certaines personnes », dont elle n’a pourtant jamais été confrontée directement, mais dont elle a entendu dire qu’il fallait se méfier. Elle analyse cette situation : “C’est parce qu’il y a un enjeu de place, de hiérarchie qui fait que les gens sont comme ça”. Selon elle, pour évoluer facilement dans l’entreprise et avoir une bonne image auprès de leurs responsables, certains sont prêts « à faire des coups de crasse ». Qu’en sera-t-il plus tard, bientôt ?

Mariama, de son côté, a une perception plus positive que celle de son amie sur le monde du travail, considérant qu’on y apprend à être plus responsable et autonome, plus adulte en un mot. Elle a senti une progression : « Maintenant, on n’a plus besoin de me dire quoi faire, je vais le faire de moi-même, constate-t-elle, alors qu’au tout début, quand je commençais à travailler, je ne savais pas quoi faire ». Elle dit aussi qu’elle a appris à s’adapter à différents profils de personnalité, « par exemple les personnes sensibles, il faut savoir comment leur parler », analyse-t-elle. A s’adapter, aussi, aux caractéristiques « des personnes de tous âges », qu’ils soient clients ou collègues, employés comme elle ou managers. À Auchan, « actuellement je travaille avec des personnes qui y ont fait plus de 20 ans de leur carrière ! », s’extasie-t-elle.

Ces expériences de la diversité sociale au sein du monde du travail, Halima l’a connue plus jeune, en dehors du monde du travail, quand elle était au collège à Élancourt, une des villes limitrophes, où « il y avait plus de personnes blanches dans ma classe que dans les collèges de Trappes ». Elle poursuit actuellement ses études supérieures à Rambouillet. Elle valorise ces expériences de la différence : « Plus tard, dans le monde du travail, il y aura cette multiculturalité, et il faudra s’adapter et comprendre les gens » explique-t-elle.

Je ne suis pas la personne qui va dire : “on ne m’a pas pris parce que je suis noire” 

A‑t-elle peur des discriminations dont elle pourrait être la victime ? « Moi, je m’adapte où je vais, assène-t-elle. Je n’appréhende pas. Je pense que le racisme qu’on voit ou qu’on entend, c’est vraiment une minorité. Je ne suis pas la personne qui va dire : “on ne m’a pas pris parce que je suis noire” » conclut la jeune Trappiste, optimiste. Elle souligne fièrement qu’elle est en train de faire les études qu’elle voulait, que dans les études supérieures, les portes ne lui ont pas été fermées, qu’elle a réussi à avoir un job étudiant. Les réticences, « peut-être que je les sentirai dans le monde du travail, peut-être que je parle trop vite » admet-elle.

Mais si jamais des barrières se présentent, elle compte redoubler d’efforts. Elle ne s’interdira pas de postuler dans certaines entreprises, pour « montrer que je suis digne d’avoir ce poste sans que la personne ne fasse attention à mes origines. Il n’y a que ma couleur de peau et le fait que je suis une femme » qui, selon elle, ne saurait faire l’objet de discriminations. « Sauf si plus tard je décide de porter le voile… », ajoute-t-elle néanmoins. Et si, après avoir fait ces efforts, « si personne veut de moi je lance un projet. Je vais me débrouiller seule » projette-t-elle fièrement.

Mariama et Halima constatent qu’elles n’ont jamais vécu de discrimination parce qu’elles étaient noires ou parce qu’elles venaient de Trappes. Mais Mariama a conscience que Trappes a une mauvaise image. Pourtant, à ses yeux, Trappes ne mérite pas cette réputation. « C’est une ville qui aide beaucoup les jeunes » assure-t-elle. Mais, anticipant un risque de discrimination, « plus tard dans mon CV, je ne vais pas écrire “Trappes” », explique-t-elle, je vais plutôt écrire “Saint-Quentin”. Parce que c’est compliqué ». La jeune femme, qui, contrairement à son amie, est allée au collège et au lycée à Trappes, se dit d’ailleurs pour l’anonymat complet du CV.

Et si elles ne trouvent pas de travail autour de Trappes ? Si « je devais en arriver là, je trouverais ça grave parce qu’il y a beaucoup d’entreprises autour » assure Mariama. Mais elle se dit prête à partir de Trappes. A la réflexion, elle estime même qu’une telle expérience pourrait lui permettre de découvrir un nouvel environnement, et de nouvelles personnes. Halima est d’accord. “On connaît déjà. On ne va rien apprendre de plus en restant » explique la jeune femme, qui n’appréhende « pas du tout de partir de Trappes. »

 

Kandia Dramé


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