Misères du décrochage universitaire


Julie a écourté ses études en seconde année de licence sans laisser tomber son objectif professionnel de devenir CPE dans le secondaire. Mais au prix de souffrances psychologiques et de problèmes financiers qu’elle explique.

 

En mai 2020, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, annonce que les épreuves du baccalauréat seront remplacées par un contrôle continu. Dans le même temps, les résultats de Parcoursup commencent à s’afficher. Sans surprise, je me vois en attente sur la plupart des licences que j’ai demandées. Au terme de mes études suivies au collège Gagarine puis au lycée de la Plaine de Neauphle de Trappes, j’ai pour ambition de devenir conseillère principale d’éducation. A mes yeux, c’est l’un des plus beaux métiers, qui vise à aider les jeunes à la réussite. Pour parvenir à cet objectif, il me faut l’obtention d’une licence permettant d’accéder au Master spécialisé aux métiers de l’enseignement, au sein duquel se prépare le concours d’entrée dans la carrière. Aimant l’Histoire, je me suis naturellement dirigée vers une licence dans cette matière.

Trois jours après les résultats de Parcoursup, je me vois acceptée à l’université de Panthéon Sorbonne. Comme pour beaucoup d’anciens lycéens venant de zone d’éducation prioritaire Rep+, intégrer la Sorbonne est vu comme le Saint Graal des études universitaires. Mais la réalité est moins rose. Dans leur grande majorité, les étudiants en licence d’histoire passent leur première année à Tolbiac. Outre l’aspect esthétique des locaux, les vingt toilettes pour mille élèves, l’absence de restaurant du Crous à moins de 20 – 30 minutes, on doit également se battre avec des problèmes bureaucratiques, des bugs informatiques, des informations contradictoires concernant par exemple les dates limites d’inscription à telle ou telle option. Une fac comme les autres finalement, la Sorbonne. Il y a seulement le nom qui est enrichissant pour le curriculum vitae.

Toutefois, je trouvais à Tolbiac son petit charme. Le fait d’être entassés comme des sardines permet d’établir le dialogue facilement. Alors que je suis de nature très timide, j’ai su me faire rapidement des connaissances et ne jamais être victime de solitude. Tolbiac m’a également permis d’assouvir une certaine curiosité dans le domaine de l’histoire et de la politique. A ma grande surprise, je me suis découvert une petite préférence pour l’histoire moderne et la période des XVème et XVIème siècles.

"Avant je ne savais pas si j’étais de gauche ou de droite, mais maintenant je le sais"

La fac, Tolbiac étant un centre principalement gauchiste, m’a aussi permis de m’ouvrir sur le domaine de la politique. Les multiples manifestations ou rassemblements dans « la fosse » m’ont poussée à m’y intéresser : pourquoi tous ces gens sont entassés avec des pancartes ? Alors tu discutes avec eux pour avoir la réponse. La fosse de Tolbiac accueille régulièrement les associations syndicales, et leurs tracts, propositions de soirée ou de réunion. La fac m’a aidé à m’aiguiller idéologiquement. Avant je ne savais pas si j’étais de gauche ou de droite, mais maintenant je le sais.

Je dirai aussi que la fac m’a aussi ouverte à d’autres cultures. A Trappes, j’étais habituée à sortir avec mes amis. Nous avions l’habitude de nous rejoindre dans un Kebab. A Paris, j’ai l’impression d’avoir une autre vie. Je rejoins mes amis dans des bars ou dans des parcs, un décor complètement aux antipodes de ceux que j’avais l’habitude d’observer.

Néanmoins, les points positifs de ma vie universitaire s’arrêtent là. A mon grand regret, je n’ai jamais su m’épanouir pleinement en tant qu’étudiante. J’ai toujours eu des difficultés à prendre confiance en moi pour les travaux. J’entends souvent dire que les études en licence sont des études faciles. Pour ma part, je les trouve difficiles et très anxiogènes, à l’image du système scolaire français. Dès le collège, tu passes ton jeune âge à te faire évaluer chaque semaine. Si tu obtiens un 2 sur 20, tu te sens idiote. À l’université, cette pression s’accentue puisque tu es censée être capable d’être autonome, sans professeur pour te rappeler d’étudier, pour répondre à tes questions ou ne serait-ce que pour te pousser à prendre confiance sur la qualité de ton travail.

"Entre nous, on se rend compte que le taux de décrochage scolaire des étudiants est effroyable"

En cela il y a un écart énorme entre la vie lycéenne et la vie universitaire, qui a pour conséquence de démotiver un grand nombre d’étudiants. Entre nous, on se rend compte que le taux de décrochage scolaire des étudiants est effroyable, et encore plus du fait des études sous Covid. Tu te rends compte que le système met à l’amende un grand nombre de jeunes. Dont moi. Tu te retrouves à avoir un bac sans avoir des capacités pour poursuivre les études supérieures. Face à cette situation, les plus pessimistes décident de quitter les bancs de l’école.

Si j’avais une baguette magique et que l’on vivrait dans un monde féerique, j’instaurerais dans les lycées en zone d’éducation prioritaire des ateliers pour apprendre aux élèves à être autonomes, et à gérer et à relativiser leurs éventuels échecs.

Par ailleurs, la plupart des universités placent leur partiel à la fin de chaque semestre. Tu te dis que c’est plutôt sympa parce que ça te laisse du temps libre. Mais c’est un cadeau empoisonné puisque les étudiants se retrouvent à avoir 2 semaines de partiels d’un stress intense où tu dois sortir sur une feuille des tonnes de connaissances sur des matières qui peuvent être complètement différentes les unes des autres. Alors que dans 10 ans, ces éléments seront complètement sortis de notre tête.

"J’ai aussi perdu ma bourse et j’ai même reçu du Crous une lettre m’expliquant que je devais leur rembourser trois mille euros"

Ma première année de fac a été assez difficile. J’ai eu des difficultés à supporter cette pression scolaire. Pourtant j’ai validé de justesse ma première année de licence malgré la situation inédite du coronavirus et un emploi du temps hybride, avec des cours une semaine sur deux en présentiel. Difficile d’acquérir une méthode de travail universitaire dans ces conditions. Néanmoins, arrivée à la rentrée de ma deuxième année, je n’avais plus de motivation. J’aime l’histoire mais je ne me sentais pas capable de réussir la licence. Déjà parce que je n’aime pas apprendre l’histoire à la manière de la fac. Je préfère apprendre l’histoire à travers des visites aux musées, des livres ou des documents. Et puis je suis arrivée à un point où je me sentais faible mentalement, sans plus de goût à rien. Je gaspillais mon énergie à m’inquiéter pour mon avenir. Je me suis très vite sentie débordée et je n’arrivais pas à rattraper mon retard sur les cours. Je suis arrivée à un point où je me sentais étouffée et très anxieuse. Je tentais de relativiser en me rappelant que pratiquement tous mes potes de fac vivent ce sentiment d’angoisse permanente. Mais je ne trouvais plus le sommeil et je passais mes journées à pleurer.

A partir du mois d’octobre de l’année dernière, je n’allais pratiquement plus en cours et j’ai été déclarée défaillante. J’ai alors perdu certains avantages comme la compensation des notes entre les semestres, ou la possibilité de passer au rattrapage si je n’avais pas la moyenne générale en fin d’année. J’ai aussi perdu ma bourse et j’ai même reçu du Crous une lettre m’expliquant que je devais leur rembourser trois mille euros qu’ils m’avaient versés. Je me suis alors demandé si ça valait vraiment la peine de rester dans cette licence. Dans le fond, je savais que si je me donnais les moyens, je pourrais valider ma deuxième année. Mais à quoi ça me servirait ? Ça ne me donnerait que le droit de faire une autre année de licence, dans les mêmes conditions. Je devais aussi faire face à la déception d’échouer, de perdre de vue mes connaissances de fac, et de faire face à une page qui se tourne. J’étais à deux doigts d’exploser d’angoisse et de tristesse.

"Je ne me voyais pas sans quelque chose pour occuper mes journées, à seulement admirer le plafond de ma chambre."

Pourtant, je n’ai pas lâché tout de suite. J’ai fait un pacte avec moi-même. Je reste à la fac et je tente de rattraper mon retard mais je me laisse aussi du temps pour trouver une alternative si j’arrête. Je ne me voyais pas sans quelque chose pour occuper mes journées, à seulement admirer le plafond de ma chambre. Je voulais aussi garder une sûreté financière depuis la fin du versement de ma bourse. Il me fallait avoir trouvé un emploi. Et j’ai toujours sincèrement envie de devenir CPE…

Sur Insta j’ai pu me mettre en relation avec une amie d’une amie dont je savais qu’elle était en formation au métier d’éducatrice spécialisée, à Buc, une petite ville des Yvelines à côté de Versailles. Dans le cadre de cette formation, je peux poursuivre une licence en sciences de l’éducation, dont j’ai découvert qu’elle était la plus réputée pour préparer le concours d’entrée à la formation de CPE. Au lycée, les quelques insuffisantes heures de vie de classe pendant lesquelles les professeurs tentaient de nous aiguiller avant de faire nos choix sur Parcoursup ne m’avaient pas fait connaître cette possibilité.

La rentrée est prévue pour septembre prochain. Alors pour donner du poids à mon dossier afin d’intégrer la formation de Buc, je me suis mise à chercher seule sur internet une mission de service civique dans le domaine de l’éducation. Après deux entretiens, j’ai eu la chance d’obtenir une mission de coordinatrice des séances de tutorat dans un collège de Montigny-le-Bretonneux, une ville proche de Trappes. Grâce à cette mission, j’apprends à parler aux élèves, à me faire respecter tout en étant à l’écoute et à la disposition des élèves, et je peux me faire une petite idée du métier de CPE. J’ai l’impression d’avoir pris la meilleure décision de ma vie. Je me sens enfin un peu apaisée.

 

Julie Roy


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