Discriminée au point de ne pas pouvoir poursuivre ses études


Kandia, jeune Trappiste de 21 ans, se voit refuser d’obtenir une alternance lui permettant de poursuivre ses études, non pas pour ses compétences, mais parce qu’elle porte le voile. Elle raconte cette expérience de l’exclusion.

 

 « Stop ! Je suis vraiment désolé madame mais je dois vous arrêter, il y’a quelque chose qui me dérange », m’arrête brutalement le DRH d’une entreprise de BTP lors d’un entretien de recrutement. Je postule pour une alternance en tant que chargée de recrutement. Ses mots retentissent encore dans ma tête. C’était la première fois que je subissais une discrimination en pleine face. Ce vendredi 11 août, cet entretien faisait suite à un entretien téléphonique qui a eu lieu trois jours plus tôt avec deux chargées de recrutement, très gentilles et professionnelles avec moi. L’entretien téléphonique s’est tellement bien passé qu’à la fin, j’ai eu vraiment l'impression que j’allais enfin signer un contrat et que ma détermination allait enfin payer. Avant d’en arriver à ce point-là, j’avais reçu plusieurs mails de refus automatique commençant par : « Bonjour Kandia Dramé, nous faisons suite à votre candidature et nous vous remercions pour votre intérêt. Nous avons analysé votre profil et malheureusement, ce dernier ne correspond pas à nos attentes. ». Bref, après l’entretien, les chargées de recrutement m'ont ensuite proposé de me rencontrer « en vrai », et j'en étais très contente.

L’entretien a lieu dans leur agence située à Guyancourt. Accueillie par les deux chargées de recrutement que j’ai eu au téléphone, la première partie de l’entretien s’est très bien passée. Présentation de mon parcours, présentation de l'entreprise et de son activité, du poste que je vais occuper. Puis vient la question fatidique concernant mon voile : « Alors on aimerait savoir si vous comptez le garder ou s’il est possible de le retirer ». Je réponds que s’ils le souhaitent je peux le mettre différemment, comme un turban par exemple, avec mon cou totalement dégagé. Elles avaient l’air d’accord avec ma proposition. En proposant cette solution, j’avais l’impression de trahir mes principes. Car le turban, ce n’est pas le voile. C’est donc comme si j’y renonçais et que je ne le portais plus vraiment. Mais je voulais coûte que coûte signer ce contrat.

Ce premier entretien, positif, se conclut par un : « Vous allez faire un entretien avec notre DRH car c’est lui qui doit prendre la décision finale » m’expliquent-elles. C’est là que j’ai rencontré le fameux DRH qui, à peine rentré dans la salle, fait une tête bizarre en me voyant. J’essaie de ne pas y faire attention et de rester professionnelle. Je pense qu’il ne s’attendait pas à voir une femme voilée. Il me demande de me présenter alors qu’il n'était même pas installé. A peine ai-je commencé ma présentation qu’il me demande de m’arrêter, car je le mettais « mal à l’aise » avec mon voile.

 

"Dans le secteur des ressources humaines, on est censé prôner la diversité et l’inclusion dans toutes ses formes. En tout cas, c'est ce que j’ai appris en cours"

 

« Mes deux chargées de recrutements que vous avez eues au téléphone m’ont dit qu’elles ont trouvé la personne qui leur fallait pour ce poste, mais elles avaient peur que cette personne porte le voile » m’avoue le DRH après m’avoir coupé en plein entretien et m’avoir indiqué qu’il ne peut pas me prendre car mon voile le mettait mal à l’aise. Quand il m’explique pourquoi il est contre le voile, je lui indique que je vais mettre fin à l’entretien car je n’enlèverai pas totalement mon voile, bien que je respecte son avis.

Venant d’un DRH, je suis choquée ; dans le secteur des ressources humaines, on est censé prôner la diversité et l’inclusion dans toutes ses formes. En tout cas, c'est ce que j’ai appris en cours de Gestion des Ressources Humaines (GRH).  Mais bon, après tout ce n’est que de la théorie. La réalité est tout autre. On est en 2023 et je me rends compte que les mentalités de certains n'ont toujours pas évolué en matière de racisme. C’est vraiment triste.

D’un autre côté, ce n’est pas étonnant, ce genre de personnes connaissent juste ce que les médias comme BFM TV et Cnews racontent sur les musulmans, au lieu de se faire leur propre opinion. Or, nous ne sommes pas tout ce que les médias disent de nous. Au contraire, notre religion, c’est la paix.

Bref, je suis sortie de cet entretien en pleurs car j'étais remplie d’espoirs et d’illusions, qui se sont effondrées en quelques minutes. Grâce à cette entreprise, je pensais que j’allais enfin pouvoir effectuer une alternance, obtenir mon master RH et acquérir une expérience qui aurait été une plus-value dans mon CV. Mais avec du recul, je me suis dit que cette entreprise ne me méritait pas et que de toute façon, même si j’avais accepté d’enlever mon voile, j’aurais refusé de travailler dans un environnement avec des gens si fermés d’esprit, car c’est toxique.

Cela fait maintenant deux ans que je porte le voile et depuis, j’ai toujours eu du mal à trouver des stages et des alternances, bien que je sache que j’ai de nombreuses compétences recherchées par les entreprises.

L’année dernière, j’avais déjà été acceptée dans une licence professionnelle en alternance dans le secteur des ressources humaines : c’était LA licence que je voulais absolument faire. Mais j’ai dû y renoncer, faute d’avoir trouvé cette alternance. Pour ne pas perdre une année, j’ai quand même validé une licence AES (Administration Économique et Sociale) avec une spécialisation en RH, en gardant en tête de me spécialiser dans cette filière en master. 

 

"Depuis longtemps des amis m'ont conseillé de ne pas mettre de photo sur mon CV afin d’éviter d’être éliminée par les recruteurs dès le moment du tri des CV"

 

Après l’obtention de cette licence, dès que la plateforme de candidature aux masters m’a informée que j'ai été acceptée dans un master Ressources Humaines en Alternance à La Défense, je me suis mise à la recherche d’une entreprise m’acceptant en alternance.

Depuis longtemps des amis m'ont conseillé de ne pas mettre de photo sur mon CV afin d’éviter d’être éliminée par les recruteurs dès le moment du tri des CV. Depuis que je me suis voilée en juillet 2021, j’ai toujours mis ma photo sur mon CV pour « annoncer la couleur » afin d’éviter de vivre des situations discriminatoires en direct. J’ai quand même appliqué leur conseil cette année, en décidant de postuler sans photo. C’était une vraie expérience sociale, car je recevais beaucoup plus d’appels, et j’ai également effectué plus d’entretiens. Cela m’a permis de savoir que j’ai les compétences que recherchent les entreprises, et que je ne suis pas nulle, comme j’ai pu le penser. Car je voyais le fait de ne pas trouver d’entreprise comme un échec et cela m’a fait beaucoup manquer de confiance en moi, en mes capacités et en mes compétences.

La semaine suivant mon entretien avec l’entreprise de BTP , je reçois un autre appel d’une grande entreprise, une entreprise reconnue dans le domaine des mobilités, des transports, pour le poste de « Apprenti chargé de recrutement et développement RH ». J'avais postulé sur leur site quelques jours auparavant, et, comme je n'avais pas mis de photo sur mon cv, j’ai été appelée par une chargée de recrutement qui m’a proposé un entretien physique, avec réception d’un mail de confirmation de rendez-vous.

Deux jours avant l'entretien, je décide de les appeler pour leur préciser que je porte le voile. Je reçois alors un appel de la part de la personne avec laquelle j’allais faire l’entretien m’expliquant qu’ils ne recrutent pas « avec le voile pour des raisons de neutralité ». Leur entreprise est une entreprise familiale et non une entreprise publique donc je ne vois pas où est le problème. Je ne postule jamais dans les mairies car je sais que ce sont des entités de l’État et que, par conséquent, le voile ne sera pas autorisé. L’entretien a donc été annulé. Finalement, cela m’a fait gagner du temps et de l’énergie, parce que je n'avais pas envie de revivre ce que j’avais déjà vécu avec l’entreprise de BTP.  

En décidant de porter le voile, j’étais consciente que ça n’allait pas être facile mais qu’avec ma détermination j’y arriverais. Je suis souvent contrainte d’accepter n’importe quel stage juste dans le but de valider mon année même si le stage en question ne m’intéresse pas. Vivre en France en étant une FEMME, NOIRE, MUSULMANE ET VOILÉE devient de plus en plus dure et ça m’arrive parfois de penser que je devrais retourner au Sénégal, et que la France, c’est pas pour moi.

En plus, je sais que je ne suis pas la seule dans cette situation. J’ai lu plusieurs d'articles, notamment un dernièrement concernant une étude de l'université de Lille, dans lesquels de plus en plus de musulmans très instruits disent penser à quitter la France pour aller s’installer dans un pays plus tolérant et surtout plus ouvert d’esprit, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada ou Dubaï.

Après les discriminations que j’ai subies, je me suis rétractée et j’ai arrêté mes recherches, d’autant plus que la deadline pour obtenir une alternance en vue d’intégrer une école était au début du mois d’octobre. Sachant que je ne me suis jamais imaginé faire une pause dans mes études, je n’étais pas bien émotionnellement. Mais il fallait que je rebondisse et que je ne reste pas passive face à ma situation.

J’ai eu plusieurs moments de doute et de réflexion concernant mon avenir professionnel. Je me suis demandé si je voulais vraiment continuer dans la RH. Est-ce que je ferai carrière dans le recrutement sachant que je porte le voile ? Je n’ai jamais vu une chargée de recrutement qui porte le voile en France. Par conséquent, je ne me sens pas du tout représentée. J’ai pensé à changer peut-être de domaine et d’aller vers le marketing digital, car ce sont les types de métiers vers lesquels se dirigent les femmes voilées du fait qu’elles peuvent travailler à distance. Mais ce n’est pas fait pour moi…

 

"L’objectif pour moi cette année est de ne pas rester une année à rien faire"

Finalement, j’ai compris qu’une année de césure, ce n’est pas une fatalité en soi. C’est vrai que c’est déroutant pour moi, dans le sens où j’avais un objectif et je voyais cette année de césure comme un obstacle pour cet objectif qui est d’obtenir un master dans le domaine de la RH, d‘acquérir de l’expérience en s'effectuant en alternance et ensuite de débuter une carrière suite à ça. Je me voyais m’éloigner de cet objectif. Cette année de césure va plutôt me permettre de faire une introspection, d’en apprendre davantage sur moi, connaître mes points forts et mes points faibles et d’acquérir une expérience.

L’objectif pour moi cette année est de ne pas rester une année à rien faire, ce qui pourrait être un handicap dans mon cursus académique. Je vais devoir trouver ce que je peux faire cette année pour combler ce trou dans mon parcours que je vais devoir savoir justifier l’année prochaine lors de mes futurs entretiens pour entrer en master. Pour ça, je dois m'armer pour la suite de mon aventure et revenir encore plus forte. Il faut que cette année de césure soit mise à profit.

J’ai pensé à peut-être effectuer un stage en entreprise dans le domaine de la RH afin d’acquérir une bonne expérience et pouvoir mettre cela en avant dans mon CV. Mais sans école, je ne peux pas avoir de conventions de stage. J’ai fait des recherches et j’ai vu que la mission locale pouvait m’en proposer une, mais de maximum deux mois. Mais la peur de revivre ce que je viens de vivre m’empêche de me relancer dans mes recherches.

J’aurais aimé également pouvoir partir à l’étranger pour aller apprendre l’anglais mais c’est compliqué financièrement. Surtout après le coût lié à mon permis de conduire, que j’ai commencé il y a 4 ans, au lycée, que j’ai raté quatre fois, mais que j’ai finalement eu le 10 novembre dernier après ma cinquième tentative et plus de 5000 euros dépensés.

J’essaie d’être sereine, d’autant plus que j’ai la chance de pouvoir travailler au sein de la Société Générale Assurance en tant que conseillère clientèle. Grâce à ce travail dans lequel je suis depuis plus d’un an, et où je peux y garder mon voile car je ne suis pas en face-à-face avec les clients, je vais pouvoir remettre de l’argent de côté. C’est le job étudiant de rêve. En plus, c’est une entreprise au sein duquel il y a de la diversité et zéro discrimination. C’est ce genre d‘entreprise qui me donne espoir. Peut-être pourrai-je y effectuer mon stage de deux mois avec une convention de stage de la mission locale, et pourquoi pas une alternance au sein du groupe à la rentrée prochaine ?

Quoi qu’il en soit, je ne ferai pas la même erreur qui consiste à ne postuler que dans des masters en alternance. Je postulerai également dans des masters en initiale, en 100% cours et sans alternance, pour ne pas risquer de perdre encore une année.

 

Kandia Dramé

 


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