Là tout de suite, je pense aux inégalités entre les jeunes du quartier et ceux qui sont plus aisés


Fin de la série d’interviews sur la manière dont quelques personnes de Trappes et sa banlieue se projettent dans la nouvelle année 2023. Aujourd’hui Daniel*, 21 ans, qui habite et a grandi à Trappes.

 

Qu’est-ce qui a été positif pour toi en 2022 ? 

Je trouve que l’année 2022 était plutôt un tremplin pour moi. J’ai entrepris beaucoup de choses. Je pense que j’aurai beaucoup plus de visibilité sur 2023, mais si je dois relever certains points qui m’ont marqué sur cette année, ça va être le lancement dans le sport. Je me suis inscrit à la salle depuis septembre 2022 et je me suis mis à la course également et je viens d’assister au semi-marathon de Paris, le 3 mars dernier. Mais également, la réussite dans la musique. Je fais de la musique depuis plusieurs années maintenant. C’est ma passion en dehors de l’école. En général je sors 3 – 4 sons dans l’année sur YouTube et sur mes réseaux sociaux. Je vais sortir 5/6 sons que j’ai enregistrés au studio fin d’année 2022, sur la plateforme Spotify et la validation de ma première année de BTS. J’ai quand même un peu peur des examens de fin d’année pour ma deuxième année de BTS, parce qu’on a toujours un doute. Mais j’ai tellement bossé sur ces 2 ans que c’est impossible de pas l’avoir.

 

Qu’est-ce que tu regrettes le plus de 2022 ? 

Ce que je regrette sur cette année, c’est de ne pas avoir concrétisé certains de mes projets plus rapidement comme le sport, j’ai voulu faire le semi-marathon l’année dernière mais je n’avais pas assez d’entrainement, donc j’ai reporté à cette année. Même la musique, avec les études en parallèle, j’ai pas avancé suffisamment vite sur ce projet, j’aurais aimé sortir plus de sons. Je regrette aussi de ne pas avoir passé un peu plus de temps auprès de ma famille, notamment mes grands frères avec qui j’ai toujours eu une relation fusionnelle. Mais bon en grandissant, chacun à ses priorités, le travail, et sa propre famille.

j’ai la chance de vivre dans un pays où on est en sécurité et au calme, et de pouvoir aller au travail ou à l’école sans se demander si on sera toujours en vie à notre retour.

 

Que penses-tu de la guerre en Ukraine ?

Justement, quand je pense à ce type de guerre, je me dis que la famille est très importante, et que je ne passe pas assez de temps avec eux. J’ai de la chance de les avoir auprès de moi. Et j’ai la chance de vivre dans un pays où on est en sécurité et au calme, et de pouvoir aller au travail ou à l’école sans se demander si on sera toujours en vie à notre retour. Je pense qu’on ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’être dans un pays en paix. Quand je pense aux jeunes de mon âge et à ceux qui vivent au quotidien en Ukraine, je me rends compte de la chance que j’ai.

 

Tu aimerais leur venir en aide ?

Bien sûr que j’aimerais pouvoir leur venir en aide. Mais à notre niveau, on a toujours l’impression de rien pouvoir faire. C’est fou parce que quand tu entends ce genre d’histoire sur les réseaux sociaux ou à la télé tu as l’impression d’être impuissant.

 

Qu’est ce qui pourrait améliorer ta situation au quotidien ? 

Déjà en tout premier, j’aimerais être diplômé de mon BTS pour pouvoir partir de chez moi et avoir un appartement, seul ou avec ma copine. Je vis avec mes quatre frères. Et même si nous sommes très proches et soudés depuis tout petits et surtout très fusionnels grâce aussi à l’éducation de ma mère, il y a très peu de place à la maison. Même si je suis le dernier de la famille et que j’ai donc toujours vécu comme ça, le plus compliqué c’est quand on est deux dans la même chambre, que l’un veut réviser et que l’autre veut jouer à la Play ou écouter de la musique. C’est horrible pour se concentrer. Déjà que j’ai du mal à apprendre, alors s’il y a une distraction à côté ce n’est même pas la peine.

Le plus important pour moi c’est obtenir ce diplôme et de continuer dans une licence en commerce

Il y a aussi les transports. Habituellement je vais en voiture à l’école et au travail, mais depuis quelques mois j’ai des problèmes techniques sur la voiture qui m’obligent à prendre le train pour aller à l’école, à Poissy. Mais je compte régler ses problèmes rapidement à cause de la grève des transports qui ne va pas s’arrêter maintenant. Après, quand on voit le prix de l’essence aujourd’hui… je ne sais pas si je ne vais pas continuer à prendre le train. Même si avec les grèves c’est souvent compliqué pour s’y rendre et ça rajoute du stress pendant les périodes d’examen, où il faut déjà savoir oublier totalement le travail et se concentrer sur les évaluations.

J’aimerais également demander une augmentation au travail, parce que c’est parfois compliqué de gagner 900€ par mois comme étudiant en alternance et de devoir aider ses parents et vivre avec le reste. Plus on grandit et plus on a besoin ou envie de gagner plus, surtout quand je compare avec des personnes qui sont en stage dans la même société et qui gagnent plus. C’est maintenant que j’ai besoin de mettre de côté pour pouvoir partir de chez mes parents et assurer ma vie pour plus tard. J’attends les entretiens annuels, fin février, et je demanderai à mon responsable de voir pour une augmentation. Avec tout ça, ce n’est pas facile de tenir toutes ces années, mais aujourd’hui je sais l’importance des études.

Dans tous les quartiers, on a souvent l’impression que c’est blindé de garçons qui ne font pas d’études, qui traînent dehors toute la journée et toute la nuit, qui sont là que pour foutre la merde. Mais en vrai personne s’intéresse réellement au profil de chacun

 

Tu ne t’en rendais pas compte avant de l’importance des études ? 

J’étais jeune et j’avais beaucoup de mauvaises fréquentations qui m’amenaient à penser que l’école ne servait à rien. Mais en grandissant, j’ai compris.

 

Quelles sont tes résolutions et tes projets pour cette nouvelle année ? 

Mes résolutions pour cette année, soit en priorité les trois que je n’ai pas concrétisé sur 2022. Mon objectif c’est de tenir mes 3 séances de sport minimum par semaine pour pouvoir prendre du poids. Je m’organise pour y aller entre 3 et 4 fois par semaine, et je fais également attention à mon alimentation pour pouvoir prendre du poids et non de la graisse.

J’ai aussi envie de continuer la musique mais en parallèle de mes études. Le plus important pour moi c’est obtenir ce diplôme et de continuer dans une licence en commerce. Je me suis inscrit à l’ensemble des portes ouvertes sur les prochains week-ends pour avoir un maximum d’informations. Et pour le BTS, je choisis une journée dans le week-end où je consacre au moins deux heures à la révision des matières les plus importantes. Je travaille aussi mon anglais sur des plates-formes dédiées.

il y a beaucoup de filles mais elles ne traînent jamais dans les quartiers, par peur d’être mal vues, soit par leurs familles ou soit par les garçons du quartier. Mais ce n’est pas normal. Arrivées à l’âge de 18 – 20 ans, elles ont plus droit de traîner en bas.

 

Si t’avais une baguette magique, qu’est-ce que tu améliorerais dans la société française ? 

Les inégalités sociales, notamment au travail entre les femmes et les hommes. Mais aussi dans les quartiers défavorisés dont je suis moi-même issu où j’ai souvent assisté à des situations choquantes. On a souvent l’impression que les quartiers c’est blindé de mecs et qu’il y a aucune fille, mais c’est faux. En général, il y a beaucoup de filles mais elles ne traînent jamais dans les quartiers, par peur d’être mal vues, soit par leurs familles ou soit par les garçons du quartier. Je sais – parce que moi-même quand je les vois sortir du bâtiment et qu’on est une dizaine en bas – elles te disent à peine « bonjour » et elles tracent. Mais ce n’est pas normal. Arrivées à l’âge de 18 – 20 ans, elles ont plus droit de traîner en bas. Mais ça ne vient pas seulement que nous, les garçons du quartier, je pense aussi que les parents jouent un rôle important dans cette différence.

 

Quelles autres inégalités tu voudrais changer ? 

Là tout de suite, je pense aussi aux inégalités entre les jeunes du quartier et ceux qui sont plus aisés. Dans tous les quartiers, on a souvent l’impression que c’est blindé de garçons qui ne font pas d’études, qui traînent dehors toute la journée et toute la nuit, qui sont là que pour foutre la merde. Mais en vrai personne s’intéresse réellement au profil de chacun. C’est vrai qu’on peut retrouver ce type de profil parmi une bande de jeunes, mais ce n’est qu’une minorité. Au final, quand tu t’y intéresses vraiment, tu comprends la vie de chacun et ce qu’ils font ou veulent faire dans la vie. Pour la plupart on a tous des projets et on a tous envie de réussir pour nous-mêmes, pour nos parents et pour nos enfants plus tard.

On peut dire ce qu’on veut de la France. On peut la critiquer autant qu’on veut, mais quand on est malade ou quand on a besoin de soins hospitaliers on est bien content d’être en France

 

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans la société française ?

Moi je sais que je réfléchis souvent à si je veux partir après mes études pour vivre en dehors de la France dans d’autres pays comme l’Espagne, Italie, ou même Dubaï. Mais y a quelque chose en particulier qui me bloque. On peut dire ce qu’on veut de la France. On peut la critiquer autant qu’on veut, mais quand on est malade ou quand on a besoin de soins hospitaliers on est bien content d’être en France au vu du prix que cela peut coûter. La sécurité sociale c’est important et on se rend compte quand on va dans d’autres pays et qu’on tombe malade.

Quand je vois le système éducatif de la France, par rapport aux autres pays, la France est quand même bien placée. Je sais que c’est quelque chose d’important surtout quand tu as des projets d’enfants. Un autre point aussi important. En termes d’activité culturelle, la France est quand même très bien placée. On a énormément de musées, de monuments, même de théâtres. C’est hyper important pour la culture des jeunes et de nos enfants plus tard.

 

Et qu’est-ce qui te plaît le moins ?

Je pense que s’il y a un point à revoir en France, c’est vraiment la sécurité des citoyens. Les personnes connues subissent énormément de harcèlement en raison de leur succès. Et la justice n’est pas assez efficace aujourd’hui pour faire face à ce type de problème. Ils partent tous à l’étranger justement pour la sécurité. Mais pas seulement que pour les gens connus, mais aussi pour ceux dans l’ombre qui parfois font appel à la justice, pensant pouvoir régler leurs problèmes, mais se retrouvent souvent seul face à leur situation.

On voit aussi l’insécurité ces dernières années, avec l’augmentation du nombre de meurtres de jeunes, que l’on voit passer sur les réseaux sociaux, à la presse ou encore à la télé, c’est une dinguerie.

Après en France, il y a un autre point aussi important qui joue beaucoup sur l’humeur des Français c’est la météo. C’est vrai que la plupart du temps dans l’année il fait un mauvais temps et ça joue beaucoup sur l’humeur, à force. On a quand même un taux de maladies dépressives hyper important dans le pays.

Ce qui me rend optimiste pour le futur, c’est de voir tous ces jeunes qui se rendent compte de l’importance des études, et qui essaient de se battre dans le but d’obtenir des diplômes et de gravir les échelons dans les entreprises

 

Qu’est-ce que t’aimerais changer dans le futur sur la ville ? 

Moi ce que j’aimerais changer dans ma ville, c’est surtout son image. A chaque fois qu’on parle de Trappes, il y a une connotation tellement négative. Je pense qu’on devrait mettre en place davantage d’activités pour les jeunes, mais aussi beaucoup de choses en rapport avec les études comme une bibliothèque, des centres de formation, même des centres d’orientation. Cela permettrait de changer l’image de la ville en lui donnant un côté plus studieux. Cela permettrait aussi de montrer une image beaucoup plus travailleuse et sérieuse de cette ville, et surtout d’arrêter les préjuger sur les étudiants précaires et leurs chances de réussir. Mais bon, il y a déjà beaucoup de choses qui évoluent à Trappes depuis plusieurs années. Il y a beaucoup plus de centres de formation, de nouvelle auto-école, de bons établissements scolaires.

 

Qu’est ce qui te rend pessimiste pour le futur ? 

De voir l’augmentation des meurtres. Tous les jours on lit un fait divers de plus en plus macabre. Avant on en entendait beaucoup et pour ma part je pensais que c’était le maximum qu’on pouvait atteindre. Mais maintenant on dirait que les meurtres c’est devenu basique, quelque chose de quotidien que l’on attend aux informations. C’est horrible.

Et puis il y a la reprise de la réforme des retraites par Macron n’annonce rien de bon pour nous les jeunes, mais encore moins pour nos enfants. Je pense qu’on va vivre une année 2023 et les prochaines années très intenses en grève et en manifestations.

 

Qu’est-ce qui te rend optimiste pour le futur ? 

Ce qui me rend optimiste pour le futur, c’est de voir tous ces jeunes qui se rendent compte de l’importance des études, et qui essaient de se battre dans le but d’obtenir des diplômes et de gravir les échelons dans les entreprises. Mais aussi de voir que les inégalités hommes-femmes deviennent de moins en moins importantes, notamment dans le monde du travail et que les femmes tentent tant bien que mal de s’imposer face aux hommes. À terme, elles y arriveront.

Et puis il y a aussi toutes les technologies qui ne cessent d’avancer dans la découverte de médicaments pour la guérison de maladie incurable ou chronique. Nous savons que nous allons vers un monde différent.

 

Propos recueillis par Natacha Nedjam

 

*le prénom a été modifié


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