Comment redonner envie et un projet de vie à des jeunes démotivés ?
Sarah a participé à un programme d’accompagnement de jeunes sans emploi ni formation vers une intégration professionnelle et personnelle pleine de promesses et de difficultés. Récit
Trappes a été une réelle découverte pour moi, car je connaissais cette ville que de nom, principalement par le biais des médias. Je n’avais pas d’a priori sur la ville, mais les fois où j’ai pu annoncer que je partais faire un stage à Trappes, des connaissances me disaient qu’il fallait que je fasse attention et que je me protège, car la ville était dangereuse. Je peux maintenant leur dire que c’est faux, et que Trappes est bien plus que ce que les médias montrent d’elle.
A 22 ans, je suis venue en Île-de-France de mars 2020 à septembre 2020 dans le cadre d’un stage de mon master 2, pour m’investir dans un programme d’accompagnement de jeunes déscolarisés porté par la Plateforme i. Je voulais travailler sur le terrain et voir comment un projet pouvait concrètement s’intégrer dans un territoire. J’ai pu connaître avant cette expérience plusieurs villes, Narbonne dans le Sud de la France où je suis née, Montpellier puis Grenoble où j’ai étudié dans le cadre de ma licence et mon master, l’anglais et l’arabe et la coopération internationale.
Le programme, piloté par un coordinateur du projet, une coach professionnelle et moi-même, l’assistante du projet, permet à des jeunes sans emploi, sans formation et non scolarisés (NEET) âgés de 16 à 25 ans d’acquérir des compétences diverses comme la communication, le travail en équipe, la prise d’initiative, qui devront être par la suite utilisées dans tous les domaines de leur vie personnelle ou professionnelle, auprès des recruteurs.
Ces jeunes ont souvent arrêté leur formation sans diplôme, pour se reconvertir vers un autre domaine d’activité ou pour des difficultés d’ordre personnel, ou parce qu’ils ont été exclus du système scolaire depuis longtemps. Ceux qui sont motivés et disponibles pour améliorer leur avenir professionnel, sont proposés par des structures jeunesse, des missions locales ou des bureaux information jeunesse puis présélectionnés par le coordinateur et la coach professionnelle. Les 5 à 12 jeunes admis.e.s au sein du programme doivent signer une charte et un règlement intérieur les engageant à une assiduité, à un investissement personnel et au respect de l’autre tout au long de la session de 2 – 3 mois.
Cette teame-là avait envie de mettre en place un projet collectif qui était d’aider les enfants d’un hôpital à Paris par le biais d’une distribution de livres et de jouets.
Au cours de mon stage, j’ai fait deux teames. De mars à avril 2020, 4 jeunes, 3 filles et 1 garçon âgés de 16 à 18 ans, originaires de Trappes, de Guyancourt ou d’autres villes proches ont pu bénéficier d’un programme de 3 semaines en présentiel et le reste en distanciel. Ils ont dû commencer par une phase confinement, pendant laquelle nous avons dû nous adapter et proposer un service à distance. Au mois de mars, il y avait des jeunes déscolarisés et à la recherche d’un accompagnement et de repère. Nous faisions des points collectifs et individuels quotidiens d’1 heure environ, avec des discussions variées sur leurs activités au quotidien en temps de confinement et sur les interrogations qu’ils pouvaient avoir concernant le futur du monde du travail, mais aussi l’après-confinement. Pendant cette période, le coordinateur du projet, la coach professionnelle et moi-même avons essayé d’être un soutien émotionnel et un soutien dans l’acquisition de savoirs et compétences. Pour un atelier « création d’un CV » par exemple, l’équipe préparait un Power Point avec des vidéos, des quiz et des exercices pratiques. Avec notre aide, les jeunes nous envoyaient une production écrite de leur CV. Cette période était difficile puisque la durée du confinement était incertaine et cette teame-là avait envie de mettre en place un projet collectif qui était d’aider les enfants d’un hôpital à Paris par le biais d’une distribution de livres et de jouets, impossible à réaliser à ce moment-là. Une autre difficulté était de ne pas ennuyer le groupe de la teame « confinement » et de leur proposer un atelier qui pourrait être utile pour eux, mais qui pourrait aussi les rendre actifs mentalement.
Au mois de juin par contre, nous avons eu la possibilité de proposer un programme teame en présentiel, qui regroupait trois garçons et deux filles âgées de 16 à 23 ans originaires de Trappes, qui ont décidé de la mise en place d’un projet pour aider des familles d’un l’hôtel social à Trappes. Pendant deux mois les membres de ce groupe travaillaient du lundi au jeudi sur leur projet collectif dans nos locaux situés dans la zone industrielle de Trappes, et ils avaient en plus un groupe WhatsApp où ils pouvaient discuter du projet et de leur vie en général, ce qui leur permettait de créer un lien.
Nous commencions notre journée autour de 10 heures par une météo, un exercice qui permet de partager son état d’esprit. « Je vais bien, je serais soleil ; je suis énervé, je serais orage ; je suis triste, je serais nuage et pluie ». Dans les deux programmes auxquels j’ai participé, chaque jeune disait tout d’abord simplement « Aujourd’hui, je suis soleil, ça va » ou « Aujourd’hui, je suis orage, mais je ne veux pas en parler ». Puis petit à petit, certains d’entre eux commençaient à être plus à l’aise et à se confier aux autres.
Nous organisions aussi régulièrement un « brise-glace », un exercice qui permet de décompresser et se sentir à l’aise dans un groupe, chacun expliquant aux autres une de ses passions (la guitare, le chant, le rap, les voitures, la danse…), ce qui permettait aux participants de voir quelle passion ils avaient en commun, puis d’en discuter.Nous leur proposions par ailleurs des savoirs plus scolaires, sous forme d’ateliers de formation sur la création d’entreprises, sur la fonction des différents pôles d’une entreprise, mais aussi sur les différences existant entre une multinationale et une entreprise d’économie sociale et solidaire qui valorise le travail d’artisans au niveau local.
Si je devais trouver une émotion qui illustre mon expérience, ce serait la surprise.
Enfin, des ateliers avaient pour ambition d’aider les jeunes participants à mieux s’exprimer à l’oral, par le biais d’ateliers théâtre, de débats ou d’exercices pour se présenter devant un public. Je me souviens d’un garçon de 16 ans en particulier, timide, qui avait du mal au début avec ces ateliers, mais à force de persévérance, après plusieurs essais en binôme, il a réussi à se sentir plus à l’aise à l’oral et plus confiant devant un public, devant une caméra ou lors d’un exercice de théâtre.
À côté des ateliers et des journées à la teame, nous faisions avec mon équipe des échanges de bonnes pratiques, des discussions liées aux différentes difficultés que nous pouvions avoir lors des ateliers ou l’investissement des jeunes par exemple.
Il se passait constamment des choses que nous n’avions pas prévues, ce qui a nécessité une capacité d’adaptation, de flexibilité, car il fallait s’adapter aux jeunes, qui ont des personnalités et des parcours différents. Il y a ceux qui ont arrêté l’école au collège, ceux qui ont arrêté l’école au lycée, ceux qui ont obtenu leur BAC. Il y a des jeunes timides, d’autres avec un fort caractère. Il y a les dynamiques et ceux qui ne s’investissent pas énormément. Et il y avait dans chaque teame, au moins un ou une jeune qui s’ennuyait très rapidement.
L’animation des ateliers se fait aussi en fonction des caractéristiques de jeunes. Je me souviens d’une fille avec qui les ateliers sur l’expression orale ont très bien marché, car ça lui a permis de sortir de sa zone de confort, alors qu’avec un autre garçon, il n’en trouvait pas l’utilité, car il était déjà à l’aise à l’oral.
Pas facile non plus de trouver la bonne posture, avec du sérieux, mais une pointe de lâcher prise et d’humour. Je devais faire preuve de créativité dans l’animation des ateliers pour éviter que les participants s’ennuient, en trouvant l’atelier trop long ou trop enfantin. Pour un atelier « découverte des pôles dans une entreprise » du mois de juin, nous avons par exemple décidé de séparer la salle en plusieurs pôles, le pôle communication, le pôle des ressources humaines, le pôle commercial. Les filles et les garçons étaient en binôme et devaient énumérer les tâches et missions de chaque pôle. En plus de cet exercice, ils avaient en leur possession des mises en situation, les incitant par exemple à réfléchir en commun aux bonnes stratégies à utiliser dans une entreprise pour présenter un produit permettant d’attirer le plus de clients possibles.
Nous mettions beaucoup d’effort pour permettre à chaque jeune des deux teames de choisir et de préparer leur avenir, en les laissant décider concrètement de ce qu’ils aiment faire et de ce qui les intéresse.
Dans ce cadre, je me souviens d’un jeune déscolarisé de 16 ans qui n’avait pas l’habitude de commander tout un projet et qui s’est retrouvé à s’occuper de la communication d’un événement public et à contacter des partenaires. Tout ceci lui a permis de se responsabiliser face à ces actions et à s’investir pleinement pour son projet personnel. Nous mettions beaucoup d’effort pour permettre à chaque jeune des deux teames de choisir et de préparer leur avenir, en les laissant décider concrètement de ce qu’ils aiment faire et de ce qui les intéresse. Dès le début de la teame, les teamers ont la possibilité de choisir un projet qu’ils aimeraient mettre en œuvre pendant les prochaines semaines. Cela se passe souvent pendant quelques heures, où chaque fille et garçon met sur des post-it, les domaines qui les intéressent, « aider les SDF », « aider les enfants des hôpitaux à Paris », « faire des maraudes », « organiser un loto solidaire à Trappes et reverser les fonds aux familles des hôtels sociaux à Trappes » puis un vote est fait. Dans la teame de juin, chaque jeune avait 1 voix, l’idée qui a le plus de voix était choisi. Pendant le projet, un garçon peut décider de s’investir sur la communication du projet, une autre fille sur le management du projet et un autre garçon sur la mise en place des partenariats. Tout ce travail leur permet de savoir dans quel domaine ils pourraient travailler. La reconnaissance et la valorisation du boulot était primordiale et nécessaire, l’équipe d’accompagnement faisant régulièrement des feed-backs, après par exemple une présentation individuelle de leur part ou quand une idée sur le projet était intéressante.
À la différence des missions locales, le programme teame donnait beaucoup d’importance au projet collectif leur permettant de s’insérer dans un groupe de travail, d’apprendre la cohésion d’équipe, les rouages d’une organisation solidaire et sociale, ces savoirs fondamentaux qui ne sont pas enseignés par le système scolaire, et qui manquent beaucoup à un nombre important de ces jeunes, notamment quand ils ont été déscolarisés précocement.
Nous avions des projets qui aidaient des jeunes talents à percer dans la musique, un projet anti-gaspillage qui aidait les Sans Domiciles Fixe, ainsi qu’un projet de distribution de vêtements, de livres et de jouets pour enfants au profit des familles d’hôtels sociaux.
L’accompagnement individuel, qui est proposé en complément de la mise en place du projet collectif, est assuré par la coach professionnelle de l’équipe, par le biais d’entretiens individuels portant sur le parcours professionnel et sur les possibilités de formations et/ou d’emploi intéressant les jeunes accompagnés. Ils voulaient pour la plupart réintégrer une formation qualifiante et obtenir un diplôme avec une expérience dans l’emploi, par le biais souvent de contrats d’apprentissage. Je me rappelle d’un jeune de 16 ans, qui était intéressé par la comptabilité, la création et la gestion d’entreprise, qui a eu la possibilité par le biais d’une entreprise partenaire, de discuter avec un comptable travaillant à son compte sur son métier, et d’acquérir des connaissances sur la comptabilité et la façon dont on pouvait gérer une entreprise. Aujourd’hui, l’objectif du jeune est le même, il est toujours à la recherche d’une formation dans la gestion et la comptabilité et espère un jour créer sa propre entreprise.
Grâce à ces projets et à l’accompagnement dont ils ont bénéficié, tous les jeunes teamers avec lesquels j’ai travaillé ont retrouvé plus d’estime de soi en prenant en main leur destin. J’ai pu voir que tous les jeunes de la teame de mars ou celle de juin qui ont pu suivre le programme ont gagné en confiance en eux-mêmes, à l’image de jeune âgé de 16 ans très réservé et timide, qui ne parlait pas du tout au début de la teame, et qui, par le biais des ateliers de connaissances de l’autre et de présentation orale, a pu gagner petit à petit cette confiance en lui. Il a fini par s’exprimer publiquement lors du bilan de la teame qui s’est tenu à Trappes devant des éducateurs, des institutionnels et l’équipe teame.
Dans ces cas de décrochage, la frustration se lit dans les yeux de toutes les personnes qui décident de s’investir dans l’accompagnement de ces jeunes,
Pourtant, certains jeunes décident de quitter le programme. Il arrive que petit à petit, au fil des semaines, le groupe se rétrécisse, passant comme ce fut le cas en juin de 5 jeunes à 2 jeunes. Les participants peuvent quitter le programme pour des raisons personnelles, souvent familiales, ou par manque de motivation, qui ne sont pas de notre ressort la plupart du temps, tel ce jeune homme de 19 ans qui nous paraissait très motivé pour terminer le programme et intégrer une formation dans la mécanique. Il était investi dans les ateliers et mettait une bonne ambiance dans le groupe. Puis il a eu une première absence inexpliquée, et enfin plus de nouvelles malgré les nombreuses relances de notre part. Dans ces cas de décrochage, la frustration se lit dans les yeux de toutes les personnes qui décident de s’investir dans l’accompagnement de ces jeunes, d’autant qu’une caractéristique de ce programme, c’est qu’une fois l’abandon décrété, il n’y a aucune possibilité de participer au programme une deuxième fois.
Dans ces cas-là, nous nous posons pour réfléchir sur les raisons de ces départs prématurés. Qu’est ce qui n’a pas marché pour ce jeune ou pour toute la cohorte ? Est-ce que s’est dû à une incompatibilité entre le programme et le jeune, une incompatibilité entre le jeune et l’équipe encadrante ? Est-ce que le programme n’est pas assez intéressant pour le type de jeunes que nous suivons ? Toutes ces questions sont posées et des propositions sont faites : changement du kit pédagogique, changement des horaires, changement du rôle de chacun dans l’équipe, ainsi de suite. Des expérimentations sont mises en place pour trouver la meilleure solution possible.
Ce que nous pouvions faire avec les participants que nous sentions pas loin de lâcher le programme était de les rediriger vers un autre dispositif plus enclin à satisfaire leurs besoins et leurs envies. Une solution a toujours été trouvée. Pour ceux qui partaient sans prévenir, nous pouvions juste espérer qu’ils puissent arriver à atteindre leurs objectifs par un autre moyen.
Malgré toutes ces difficultés, les « jeunes » m’apportent un réel boost au quotidien par leur spontanéité, leur imagination débordante. Le domaine de la jeunesse et de l’éducation m’intéresse depuis quelques années. Avant ce stage à Trappes, pendant mes deux années de master, j’ai été bénévole dans plusieurs associations d’aide aux devoirs, comme l’Afev, spécalisée dans l’aide aux devoirs à domicile dans des quartiers politique de la ville à Grenoble et Asars, une autre association d’aide aux devoirs de Grenoble. Les repères, la confiance en soi, l’assurance, l’avenir est en parti tracé principalement quand on est jeune, je me devais de faire tout mon possible pour aider ceux qui n’ont pas eu le même parcours que moi et qui ont besoin d’être accompagnés. Grâce à toutes ces expériences, je suis maintenant Conseillère Insertion Professionnelle Référente Garantie Jeune à Bondy, dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Sarah Bessaad