Mina Daoudi, une directrice en mission locale


Portrait d’une femme de caractère dont la volonté d’adapter l’offre de la Mission Locale de Dreux qu’elle dirige aux besoins des jeunes l’a conduit à faire évoluer son institution.

 

« Je le dis souvent mais la valeur travail qu’on t’enseigne ou pas, est décisive » explique Mina Daoudi, directrice de la Mission Locale de Dreux et sa région depuis 2011, et de sa trentaine de salariés. Et si cette valeur travail lui a été nécessaire, c’est que tout n’a pas été facile pour elle, à ses débuts dans le monde professionnel. « Eh bien là, j’ai été face à ma première discrimination », se souvient Mina Daoudi. « J’ai intégré une entreprise dans laquelle on m’a demandé de changer mon prénom pour pouvoir parler aux partenaires et aux clients. » Ayant grandi dans un milieu qu’elle juge nourri de mixité et d’ouverture – « Faut savoir que j’ai grandi dans un monde candide où tout était beau et rose et moi je n’avais jamais connu ça », reconnait la jeune femme – elle se retrouve choquée face à cet événement révélateur de mœurs du monde du travail, qui l’a marquée durablement.

Née dans le cœur urbain de l’agglomération drouaise, Mina Daoudi passe son enfance dans le quartier des Vauvettes à Vernouillet, une zone urbaine classée en quartier politique de la ville. Mais ses parents, un père d’origine marocaine et une mère d’origine algérienne, déménagent, et elle effectue son adolescence dans le village de St Rémy sur Avre, à quelques kilomètres de Dreux, au sein d’une famille de parents immigrés.

"C’était la première femme cariste à Dreux"

C’est l’époque où elle voit « ses parents se lever le matin, aller travailler, ne jamais se plaindre, cumuler deux emplois pour payer les études de leurs enfants. Du coup-là, la valeur, tu te dois de l’avoir » explique-t-elle en se remémorant cette époque de sa vie. Elle dit de ses parents, et notamment de sa mère, « qui a travaillé dès l’âge de 16 ans en occupant un poste de cariste, « C’était la première femme cariste à Dreux » qu’ils ont été des travailleurs acharnés et courageux, qui l’ont toujours poussé à s’instruire, à s’enrichir, et à ne rien lâcher. « C’est ça que j’essaie d’enseigner à mon fils, que tu n’as rien sans rien et pour avoir ce que tu veux, il faut bosser tu n’as pas le choix », affirme la directrice.

À la suite de cette première expérience professionnelle stigmatisante, elle intègre une grande agence d’intérim, afin de gérer le planning de plus de 600 salariés. Une expérience enrichissante professionnellement et humainement, mais aussi « l’épisode qu’elle a le plus mal vécue de toute sa carrière professionnelle », quand il a fallu dans le cadre de ses missions annoncer la fermeture du site à des hommes et femmes, pour la plupart père et mère de famille.

En 2003, peu avant la fermeture du site, elle reçoit une proposition de l’ancien président de la Mission Locale pour intégrer la structure, qui s’occupe d’une population disposant parfois de très peu de ressources. « Durant ma première semaine de mission j’ai cru que mes collègues m’avaient bizutée. Mais très vite, tu te rends compte que c’est réel, que c’est un public en difficulté. La population jeune souffre », analyse Mina, qui décide alors rapidement de se former en vue d’étendre son champ d’action à l’ensemble des quartiers classés politique de la ville du territoire. Ce qui débouche sur de prompte montée en compétence et en grade au sein de la structure.

"J’ai dû m’imposer à eux"

En arrivant dans la structure, elle se dit qu’il y avait beaucoup de choses à retravailler. « A l’époque la mission locale n’avait pas la compétence d’aller vers les entreprises, de faire des mises en relation » avec les jeunes. Ce qui a pu la pousser à aller à l’encontre de l’ancienne culture de la structure. « J’ai dû m’imposer à eux » résume-t-elle sobrement. Les liens avec les acteurs et partenaires socio-économiques du bassin ont ainsi pu être renforcés, ce qui lui a permis, in fine, d’assurer sa légitimité. « Je suis arrivée en 2003. En 2005 j’étais directrice adjointe, et en 2011 j’étais directrice »

Une fois directrice de la mission locale, elle décide de modifier le profil de son équipe – une trentaine de salariés, agissant sur 34 établissements dans 16 communes, à Dreux et autour de Dreux – et réalise alors ce qui est aujourd’hui l’une de ses plus grandes fiertés “On a une équipe salariée qui ressemble à notre ville. Elle est multiculturelle, il y a de toutes les origines. Moi je suis très fière de mon équipe parce qu’elle ressemble à Dreux, elle ressemble à la population dont on a la charge ». Elle met en place un management horizontal, bâti son équipe comme une grande famille dans laquelle chacun apprend des autres. Elle y intègre des jeunes, arguant qu’« on ne peut pas dire aux employeurs : “Recrutez nos jeunes ! “, alors que nous, on ne donne pas l’exemple. »

Le fait d’avoir grandi dans un quartier politique de la ville (QPV) et dans un milieu rural a apporté à la dirigeante une mobilité intellectuelle qui lui permet de mieux analyser le profil sociologique des jeunes dont elle a la charge. Selon elle, « être en QPV n’est pas forcément un atout ». Elle explique qu’« être en mouvement dans les quartiers prioritaires » peut ne pas sembler naturel, et créer chez certains le sentiment de vivre dans un environnement isolé « parce que finalement tu as tout à proximité. Même pour acheter le pain par exemple dans les quartiers, c’est en bas de chez toi ». Au contraire, analyse-t-elle, « quand tu vis dans le rural t’es obligé de te bouger t’es obligé d’être dans le système de la débrouille. Il n’y a pas le bus qui fait le tour de la ville en passant toutes les 15 minutes. Du coup t’es toujours en mouvement pour tes démarches, tes études, tes courses. » De ce fait, mais aussi parce que de nombreuses jeunes femmes ne souhaitent pas aller dans une mission locale au sein de leur quartier, la mission locale souhaite déménager en centre-ville l’année prochaine.

"Avant quand on avait une offre d’agent de production, j’avais 50 demandes pour 1 poste, explique-t-elle. Aujourd’hui on a cinquante postes et une seule candidature"

Par ailleurs, au terme de quelques années de pratique, Mina Daoudi fait un autre constat : La population jeune fréquentant sa mission locale a changé « Avant quand on avait une offre d’agent de production, j’avais 50 demandes pour 1 poste, explique-t-elle. Aujourd’hui on a cinquante postes et une seule candidature. » Partant de ce constat, elle ressent le besoin de « donner à notre jeunesse l’envie d’avoir envie, d’entreprendre, de susciter chez eux de l’ambition de mettre en place des projets, de se lever tôt le matin, de faire des démarches », en faisant comprendre à ces jeunes que la mission locale sera là pour les accompagner dans chacune de leurs démarches.

Pour ce faire, Mina Daoudi a décidé d’orienter la structure vers des activités n’entrant pas traditionnellement dans le champ des activités traditionnelles de la Mission Locale. « Pour aborder des problèmes de prostitution, nudes, supersexisme, d’harcèlement, de la radicalisation, les fakes news, le sport. Si on ne fait pas ça où est-ce qu’ils pourront aborder ces sujets ? » questionne celle qui est également présidente à l’échelle locale de l’association “Mouvement du Nid”, qui aborde ces multiples questions.

Aujourd’hui, à l’aube des 40 ans de la structure et de ses 20 années d’exercice, Mina Daoudi peut poser faire un premier bilan de son action. « L’image de la mission locale a évolué » constat-t-elle, mais il reste du travail à faire pour mettre fin au mythe de « la jeunesse fainéante sans talent » des jeunes habitant les quartiers populaires et/ou issus de l’immigration, qui bénéficie des services de la Mission Locale du Drouais. Pour cette partie de la jeunesse, souvent stigmatisée en raison de ses origines sociales, Mina Daoudi peut représenter une figure de réussite. Mais « mon moteur, explique-t-elle, c’est d’amener de la fierté dans le regard de mes parents », ceux qui lui ont appris à ne jamais rien lâcher. En septembre 2019, Mina Daoudi, directrice de Mission Locale du Drouais a été décorée de l’ordre national du mérite.

 

Aïssata Diarrra

et article a été produit en collaboration avec le Master 2 ” Sociologie Politiques sociales territorialisées et Développement social urbain ” de l’université de Saint‐Quentin‐en‐Yvelines.

 


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