Une journée agitée au centre socioculturel Marc Sangnier


L’équipe jeunesse du centre Marc Sangnier, situé dans le quartier politique de la ville Porte de Vanves à Paris, accompagne certains jeunes de leur quartiers en utilisant une approche visant à responsabiliser ces jeunes plus qu’à les chouchouter. Rencontre.

“J’ai communiqué dans le calme, ça n’a pas fonctionné, j’ai mis les p’tits au pied du mur, en leur disant : “Les gars, y’a des lois à respecter”, ils n’ont pas voulu respecter ces lois”, analyse Hakim (les prénoms ont été modifiés), 25 ans, animateur. Du coup ce groupe de jeunes a été exclu du centre d’animation Marc Sangnier situé dans le quartier politique de la ville (QPV) Porte de Vanves du 14e arrondissement de Paris, entre le périphérique et le quartier Montparnasse. Pourtant tout avait débuté normalement. Ce mercredi d’avant période de Covid, comme tous les mercredis, un peu avant 18 h, une dizaine de jeunes arrivés un peu en avance attendent dans le hall du centre d’animation pour le tournoi FIFA organisé par l’équipe jeunesse. Hakim, un jeune animateur qui, bien que fort sympathique, n’hésite pas à faire entendre le son de sa voix lorsque le cadre qu’il instaure n’est pas respecté a été nommé en 2019 dans l’équipe jeunesse : “C’est des p’tits qui ont grandis comme toi et moi, j’pense, dans des milieux compliqués…C’est des familles nombreuses, c’est des Quartiers Politique de la Ville avec des bâtiments insalubres”, déplore-t-il. Mais malgré une délinquance présente dans ces types de quartiers, l’équipe jeunesse évite les amalgames : “Ceux-là, ils ne sont même pas comme ça en plus, parce que je suis sûr que la plupart, ils volent rien”, estime Dylan, la trentaine, le second membre de l’équipe jeunesse qui s’occupe du tournoi FIFA. Plus calme, moins bavard que son collègue, il n’hésite pourtant pas lui aussi à hausser le ton en cas de besoin.

Ce centre d’animation accueille des jeunes de toutes les tranches d’âges, en proposant des activités culturelles et sportives diverses. Récemment, l’équipe jeunesse a instauré une nouvelle activité tous les mercredis soir, un tournoi du jeu vidéo de football FIFA, à destination des 12 – 17 ans. Le soir de notre présence, Hakim et Dylan ont accueilli un groupe d’une dizaine de collégiens, âgés de 13 à 15 ans résidant un quartier voisin de la Porte de Vanves. Pourtant, à leur grand étonnement ils ne virent ni télévision ni Playstation dans la salle, comme à l’accoutumée. Les deux animateurs leur annoncent que des plaintes ont été émises, du fait du trouble que causaient ces jeunes avant et après le tournoi de jeu vidéo. Ce n’est pas la première fois. Ce groupe a déjà été exclu d’un autre tournoi le mois d’octobre précédent, suite à des actes d’insolence, d’insultes à répétition et de non-respect des animateurs : “Je leur ai donné des leçons pendant trois fois. Si tu ne mets pas du tien comment je vais faire ?”, explique Hakim.

J’vais jamais réussir si j’suis combattant avec eux. J’peux pas me permettre de faire le policier h24

“Quelles sont les règles pour vous, qu’on vous inculque ?”, leur demande Hakim. Après une vive sensibilisation au vivre ensemble, Hakim leur demande de créer leur propre charte de bonne conduite. Après quelques minutes, un jeune de 14 ans, se dirige vers Hakim une feuille comportant une dizaine de règles. Rapidement, il comprend que seulement 6 des 14 jeunes ont participé à la rédaction de cette charte, jugée d’ailleurs trop laxiste par l’animateur : “Ils sont pas capables. Comme ça on est tous d’accord, ils ne sont pas capables” tranche Hakim. Face à cette faible participation des jeunes, un des animateurs, après une énième sensibilisation, leur demande de quitter la salle, décidant par la même occasion de ne plus les accueillir.

Ces exclusions sont assez exceptionnelles. Généralement, les bandes de potes rigolent, s’amusent, se charrient, les animateurs regardent les matchs, arbitrent, discutent et rigolent avec les jeunes. Les animateurs adoptent ainsi une pédagogie qui vise à instaurer un cadre et des règles, tout en gardant une relation conviviale avec les jeunes. Pour eux, leur rôle n’est pas d’avoir une relation descendante d’éducation, comme un enseignant ou un surveillant de collège : “Nous on est juste là pour accompagner” raconte Dylan, insistant la relation horizontale qui existent entre eux et les jeunes qu’ils accueillent. Le jeune est acteur de son activité et l’animateur est présent pour l’épauler, l’aider à développer des savoirs et un comportement adéquat. “J’vais jamais réussir si j’suis combattant avec eux, explique Hakim. J’peux pas me permettre de faire le policier h24. J’vais le faire 1 fois, 2 fois.” Cette idéologie de l’animateur accompagnateur et non “policier” renvoie directement à cette figure de l’éducateur spécialisé dans l’éducation…spécialisée, adoptant une pédagogie bienveillante et évitant de mettre le jeune dans une ènimième situation de répression : “Nous, c’est l’éducation populaire. On est là pour le peuple, on se bat pour eux…”, résume Hakim.

Pourtant, cette relation n’est pas toujours naturelle pour ces jeunes : “En fait le truc qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’on n’est pas là pour les…Eux, ils nous voient comme des adultes en mode : “les adultes vont nous crier dessus”. Mais on n’est pas là pour ça nous”, déplore Selma. Le choix du jeu FIFA est une illustration des outils mobilisés par les animateurs :“J’me sers de tes envies pour en faire ce que moi, je veux te passer comme message. Je peux me servir de la Play pour te faire passer un message de non-violence. En fait, j’essaie de créer un lien avec le petit pour qu’il sache qu’on est soudé. J’veux t’inculquer quelque chose” explique Hakim. Et quoi de mieux que le plus populaire des jeux de foot pour capter des jeunes collégiens ?

Cette activité “tournoi FIFA”, permet aussi de toucher des collégiens plus âgés, des lycéens, voire de jeunes adultes, comme le note Dylan, “On en a un autre public, les plus grands là, ils sont là, ils viennent. C’est du 17, 20, 26 même. Y’en a, ils ont 25 – 26 ans. On leur dit : “Venez, vous avez le droit de venir en même temps que les p’tits””. Ces jeunes plus âgés sont déjà venus quelques fois à ces tournois du mercredi soir, moins nombreux et plus calmes que leurs cadets. Mais la cohabitation entre ces deux groupes d’âges différents est compliquée, témoigne Dylan, ayant discuté de cela avec un “grand” qui lui a expliqué que les plus jeunes feraient “trop de bruit” et qu’ils seraient “malpolis et irrespectueux’. Du coup, rapporte Dylan, ce “grand” préférerait éviter la confrontation : “Si je viens, j’vais jouer avec lui, il va mal me parler, j’vais le taper. Je préfère rester dans le hall, je joue aux cartes, je fais ce que j’ai à faire, je viens pas.”

Il y en a qui viennent, ils ramènent leurs potes, ils ont une tête euh… on dirait qu’on les a forcés à venir. Au final ils repartent ils sont contents.

Capter leur population cible des 12 – 17 ans pour le tournoi FIFA, et plus particulièrement les jeunes collégiens n’est pas forcément une tâche évidente pour l’équipe jeunesse, du fait notamment des a priori de ces jeunes comme le signale Selma, une animatrice de l’équipe : “Il y en a qui viennent, ils ramènent leurs potes, ils ont une tête euh… on dirait qu’on les a forcés à venir. Au final ils repartent ils sont contents. Ils se disent ah ouais j’ai bien fait de venir. Il y en a plein qui ne savent pas ce qu’on fait déjà d’une. Et deuxièmement ils nous voient comme des adultes en mode euh…On n’est pas l’école !”. Pour parvenir à leur fin, les animateurs ont dû réaliser une communication assez poussée : “On les démarche de la rue, parce qu’ils ne connaissent pas ici. Ça veut dire : On va, on dépose des flyers, on leur propose des activités, on les démarche dans leur collège. On est parti chercher, on est parti naviguer pour leur bien” raconte Hakim. Un des buts de cette communication poussée est d’éviter qu’ils “traînent” dans le quartier, notamment en début de soirée, ce qui peut expliquer en partie le choix de l’horaire de l’activité, de 18h à 20h.

Si l’équipe d’animateurs doit parvenir à des résultats concrets, notamment chiffrés, c’est parce qu’elle a répondu à un appel à projet lancé par la mairie de Paris. Le centre social dans lequel Dylan et Hakim travaillent est en fait géré par une association du nom de Casdal 14, spécialisée dans l’éducation populaire, par délégation de service public (DSP). Cette association gère deux autres centres sociaux dans les quartiers prioritaires du 14e arrondissement de Paris. Pour obtenir les financements demandés, pour une activité comme le tournoi Fifa, le centre d’animation doit fournir, puis remplir, des objectifs précis : “Nous, notre but, c’est de lutter contre la violence. On peut pas demander des fonds comme ça. Donne-moi, j’vais acheter une play” justifie Hakim. Dylan abonde dans son sens : “On leur explique nos projets, on leur explique ce dont nous, on a besoin, et comment on fonctionne” explique Dylan. Responsabiliser les jeunes, leur inculquer des valeurs, l’autonomie…Tout ça, c’est dans les statuts de l’association, et c’est ce qu’on fait.”


Nassim Mimouni et Stanley Christopher Antoine

Cet article a été produit en collaboration avec le Master 2 “Sociologie Politiques sociales territorialisées et Développement social urbain” de l’université de Saint‐Quentin‐en‐Yvelines.


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