Isolée par une vie trop vide et une tête trop pleine 1/2


Comment les blogueuses et blogueurs du Trappy Blog vivent leur confinement ? Série de points de vue sur leurs vies entre 4 murs. Aujourd’hui, Sheryl, Guyancourtoise passée par le lycée de la Plaine de Neauphle à Trappes, en première année de licence de Droit à la fac de Saint-Quentin-en-Yvelines. (1−2)

 

Au moment où j’écris ce texte, nous sommes au 50e jour de confinement. J’ai réussi à savoir depuis combien de temps on est officiellement enfermé grâce aux hashtag #Jour50 que les gens postent quotidiennement sur Twitter. Sans ça, je serais complètement perdue. Dès le début de cette pandémie j’étais assez paniquée. Avant le confinement, Marie ma meilleure amie ne me prenait pas au sérieux, au moment où l’épidémie s’est développée en Chine, quand je lui disais que je devais chercher des boutiques à Saint-Quentin qui vendait des masques et des gants afin de me protéger. Pour elle et d’autres de mes amies comme Elora, c’était juste “une petite grippe”. Mais depuis le confinement, et réalisant l’ampleur que ça a pris en France elles sont moins sereines. Marie et Elora ont commencé a réalisé l’angoisse que j’ai ressentie le 12 mars, le jour où Macron a annoncé la fermeture des universités, et surtout l’annonce d’un potentiel confinement.

Quand ce discours a été prononcé à 20 heures j’étais avec Marie à Carrefour, où on était simplement venu acheter de l’eau. On s’était rejoint plus tôt en début d’après-midi pour passer du temps ensemble, car avec l’annonce du discours présidentiel, on s’était dit que nous aussi, comme en Chine on n’allait pas tarder à être confinées et qu’on ne pourrait plus se voir avant longtemps. Une fois le discours prononcé je la narguais un peu de la voir à son tour paniquée par l’épidémie. Mais elle n’était pas la seule a être inquiète. Autour de nous, le temps de rejoindre notre amie Célia devant l’entrée du magasin, aperçue par hasard au loin, les rayons se vidaient petit à petit de nourriture. De plus en plus de monde était soudainement venu à cette heure tardive à faire des réserves de conserves et de pâtes. Contaminée par cette ambiance de panique, j’ai moi aussi chercher à acheter de la nourriture pour faire des stocks en me disant que peut être, on allait plus pouvoir acheter dans les magasins pendant quelque temps.

J’habite à Guyancourt, mon quartier est à l’extrémité de la ville juste à côté d’une forêt, vers le Technocentre Renault. Chez moi on est six. Je vis chez mes deux parents, mes deux frères, Miguel a 20 ans et est en formation dans une prépa des sciences et technologie de l’ingénierie dans un lycée professionnel à Dijon et Oscar, bientôt 23 ans, qui a fait ses études de logistique à l’université de Saint Quentin, ainsi que ma petite sœur de 6 ans Oriane, qui est encore en CP. On habite dans un petit appartement, une chambre pour mes parents, une autre pour mes frères, et une pour moi et ma petite sœur, au-dessus d’un restaurant chinois où depuis mon balcon, j’ai vu sur tout le quartier.

"Au final je suis assez soulagée par le confinement. Aller en cours et devoir potentiellement travailler avec les autres élèves de ma classe était angoissant pour moi."

Mes cours en première année de licence de droit se font en ligne depuis sept semaines. Les profs nous envoient leurs cours rédigés via des Power Point sur la plateforme numérique de l’université, et nos chargés de TD nous envoient des devoirs maisons avec des textes et des questions, ou alors des dissertations. Personne ne nous a dit comment allaient se passer les examens finaux. Mais bon, je m’en fiche un peu. Au final je suis assez soulagée par le confinement. Aller en cours et devoir potentiellement travailler avec les autres élèves de ma classe était angoissant pour moi. Les classes ayant changé au second semestre, je ne connaissais plus personne et surtout, étant une élève peu sérieuse dans mes cours, j’allais être un poids inutile pour mon groupe. Maintenant je fais mes devoirs maisons d’« Idées Politiques », une des rares matières qui m’intéressent dans ma licence, seule dans mon coin sur mon ordinateur avec le cours envoyé. Sans avoir à me sentir stressée ou avoir l’impression d’être jugée et vue comme la cancre de la classe. Ce qui n’est pas faux en soi. Car je ne vais pas mentir : cette année scolaire est un échec.

J’ai plutôt un profil de littéraire. J’ai passé un bac L au lycée de la Plaine de Neauphle à Trappes, et j’ai toujours été intéressée par les Sciences Humaines, mais plutôt par la sociologie et les sciences politiques. Mais j’ai d’abord dû aller dans une formation qui ne me plaisait pas sous la pression de mes parents, qui pensaient que ce serait le mieux pour moi. J’ai essayé de m’y accrocher quelque temps et puis j’ai abandonné. Mes parents ont vite remarqué que j’étais assez désintéressée par les cours de droit, et que je sortais souvent à Paris. Ils me voyaient rentrer tard le soir avec des sacs remplis de nouveaux vêtements, et ne me voyaient jamais faire mes devoirs au salon comme j’avais l’habitude de le faire dans les premiers mois du début de l’année. Ils devaient penser que j’allais arrêter l’université. Ils devaient se demander ce que j’allais faire de ma vie. De mon côté, je ne suis pas du genre à paniquer pour rien, même si évidemment c’est toujours difficile de se remettre d’une galère. J’accepte facilement l’échec, et je sais que c’est commun d’échouer sa première année d’université. Beaucoup d’étudiants ont du mal avec ce nouveau rythme de travail, et d’autres réalisent que l’université n’est pas faite pour eux, ou bien qu’ils n’aient pas choisi la bonne filière. Même si c’est un premier mauvais pas dans les études supérieures je sais qu’il y en aura d’autres, de moins mauvais. Qu’est-ce que je peux faire de plus ? Tant pis.

On peut toujours envoyer des messages à nos professeurs si on a des soucis. Je ne sais pas comment ils peuvent répondre individuellement à tous, mais qu’ils le fassent ou non, ça m’est égal. Je n’essaie pas de leur parler. Je n’en ai ni l’envie ni le besoin.

Je n’arrive pourtant pas à me réjouir totalement de la situation vis-à-vis de certaines de mes amies, plus studieuses et investies dans leurs cours : Comment vont-elles finir leur année ? Pour essayer de valider leur semestre elles ont dépensé beaucoup de temps et d’énergie. Est-ce que tout ça n’aura servi à rien ? Surtout que deux en particulier, Lena et Léa ont dû payer des milliers d’euros pour pouvoir intégrer les écoles privées d’art et cinéma qu’elles souhaitaient.

Et aucune information ne nous a clairement été donnée à ce sujet. Est-ce qu’elles vont être remboursées ? Est-ce que ma fac maintiendra les examens en ligne ? Est-ce que les rattrapages des examens se feront tout de même à l’université après la fin du confinement ? Comment travaillent ceux qui vivent chez leurs parents et ne peuvent pas étudier correctement, ceux qui n’ont pas leur propre ordinateur ? Personne ne nous donne de réponse, c’est surtout ça qui m’angoisse le plus, on ne sait rien de ce qui se passera après. L’administration de l’université qui est d’habitude, très peu présente pour ses élèves, parce que toujours débordée, est maintenant quasi inexistante. On peut toujours envoyer des messages à nos professeurs si on a des soucis, mais ils ont parfois des milliers d’élèves sous leur tutelle. Je ne sais pas comment ils peuvent répondre individuellement à tous, mais qu’ils le fassent ou non, ça m’est égal. Je n’essaie pas de leur parler. Je n’en ai ni l’envie ni le besoin. Au vu de la catastrophe et du désordre de la situation, ils ne doivent pas être plus renseignés que moi.

Être seule à la maison à ne pas faire grand-chose me force à réfléchir sur les soucis et les défauts que je ne veux pas affronter. Je ne supporte pas de rester enfermée plus d’un jour chez moi. Même si je sais que j’ai la chance d’avoir une famille tranquille, j’aime sortir pour être seule avec moi-même, sans personne pour me déranger. C’est plus facile de m’occuper la tête en étant dehors. Je trouve toujours quelque chose sur quoi porter mon attention : une voiture qui passe, un insecte sur le sol, des jolies fleurs. Penser à tous ces éléments me permet de porter mon attention ailleurs que sur mes complexes, mon attitude, mon corps ou mes soucis familiaux. Pourtant dans les deux premières semaines environ du confinement tout allait bien, je trouvais toujours quelque chose à faire pour m’occuper. Je prenais plus de temps à faire mes devoirs maison d’« Idées Politiques » pendant toute la journée, du matin dès que j’avais fini de prendre mon petit déjeuner, jusqu’à 20h pour dîner, parfois sans interruption.

Quand j’avais fini mes devoirs, je faisais les tâches ménagères que mes parents me donnaient. Avant le confinement je me plaignais toujours quand je devais faire quelque chose, parce que mon père me désigne toujours parmi mes frères comme “celle qui doit faire le plus de tâches” sous prétexte que je suis une fille. C’est un argument qui m’insupporte et me fatigue. Mais bon, à force on s’y habitue, et puis après tout je n’avais plus que ça à faire alors autant exécuter ces corvées. Ou sinon j’aidais ma petite sœur à faire ses devoirs. Je lui apprenais comment écrire certains mots, des poésies, des calculs. C’était assez cool de jouer les professeurs mais je me suis rendu compte à quel point c’était vraiment fatigant de faire étudier un enfant. C’est très difficile d’essayer d’expliquer quelque chose qui me parait évident en tant “qu’adulte” à une petite fille qui ne comprend pas encore tout.

"Au début de l’année scolaire, j’ai été confrontée à des étudiants venant d’un milieu social différent, et plus aisé que le mien. Ça m’a fait prendre conscience de l’immense écart que j’avais avec eux."

Quand j’avais fait toutes les tâches possibles, je me réfugiais dans ma chambre et regardais tous les documentaires, films et séries que je devais visionner depuis longtemps. Je regarde en particulier des documentaires ou séries qui traitent de sujets comme le racisme, le féminisme, l’histoire, la religion, la politique car ce sont des notions importantes à mes yeux que j’aimerais plus étudier. Il y a les podcasts “Kiff ta race” de Rokhaya Diallo sur Youtube qui traitent des discriminations raciales que l’on soit noire, asiatique ou roms. Il y a aussi des documentaires sur des activistes iconiques comme “And Still I Rise”, qui retrace la vie de Maya Angelou, une artiste afro-américaine et militante du mouvement des droits civiques aux États-Unis. Étant moi-même une femme noire métisse, par ma mère qui est centrafricaine et par mon père qui est français, je me dis que je dois en savoir plus sur ma condition sociale, sur les discriminations auxquelles je suis sujette par rapport non seulement à ma place en tant que femme, au teint mat de ma peau, mais plus clair que d’autres, et des privilèges qui découlent. En effet, en France, homme ou femme, quand on est noir, plus on a la peau claire, plus on se rapproche des critères de beauté occidentaux et de la peau blanche, moins on aura tendance à être discriminé par rapport, hélas, à des personnes de la communauté afro plus foncées.

Et plus j’en apprends sur ces différents sujets, en les étudiant, en prenant des notes de chaque livre, documentaire que je regarde, plus je me dis que je dois toujours en savoir plus. Cela ne fait aussi qu’accroitre un de mes plus gros complexe : ne rien savoir. Au début de l’année scolaire, j’ai été confrontée à des étudiants venant d’un milieu social différent, et plus aisé que le mien. Ça m’a fait prendre conscience de l’immense écart que j’avais avec eux. Les professeurs ont beau nous dire que l’on part tous du même point de départ lorsqu’on étudie en première année à l’université, je ne pense pas que ce soit vrai. Je le vois, dans les amphithéâtres et dans certains de mes cours. Lorsque certains élèves s’expriment, avec un niveau de français plus soutenu, on sait d’où ils viennent. Et ils renvoient tout de suite des impressions sur leur niveau de vie. Quand je les vois et que je me compare à eux, ou à d’autres personnes de mon entourage je vois bien que nous ne venons pas du même milieu. Mais quand on écoute un élève issu d’un milieu plus modeste avec un langage plus familier, on peut entendre dans la salle des élèves ricaner face à cette façon de parler, des imitations type “ghetto”, et ne prennent pas au sérieux les propos dit. Ça me démoralise de voir les gens réagir comme ça. Alors je ne prends pas le risque de m’exprimer sur certains sujets.

"Tout ça au bout d’un moment, n’a fait que saturer davantage mon cerveau, et m’a fait vivre encore plus mal cet isolement."

C’est comme si je devais rattraper toutes mes années de retard, réapprendre à parler pour m’exprimer comme eux. Rattraper cette différence de capital culturel, en étudiant dès que je peux le plus de sujets possibles. A force d’étudier et de m’intéresser à ces sujets sociaux plus en détail je ne cesse de me dire qu’au final, il me reste encore une montagne de choses à apprendre. Par exemple si je veux étudier un sujet comme le racisme, je dois encore étudier l’histoire de ce phénomène, comment celui-ci varie dans tous les pays du monde, que l’on soit un homme ou une femme, quels en ont été les premiers responsables, qui en sont encore les responsables aujourd’hui, comment on peut changer les choses, qui sont ceux qui ont essayé de faire changer les choses, par quels moyens, quelles étaient leurs vies ? Toutes ces questions pour un seul sujet !

Me surcharger d’informations et de questions, voir qu’il me reste encore beaucoup de choses à apprendre, vouloir à tout prix m’occuper le plus possible pour ne pas penser à la situation dans laquelle je suis, à ma peur face à cette pandémie si elle me touchait moi, ma famille ou mes proches, mes questions sans réponses vis-à-vis de l’après confinement, tout ça au bout d’un moment, n’a fait que saturer davantage mon cerveau, et m’a fait vivre encore plus mal cet isolement.

J’étais après ces deux semaines de confinement en permanence de mauvaise humeur, débordée par toutes ces questions je pleurais sans savoir pourquoi, mes nerfs lâchaient. Isolée et démoralisée, je me voyais de nouveaux complexes apparaitre, je trouvais la forme de mes yeux bizarre, je trouvais mon corps trop maigre, trop “plate” alors que c’était des choses qui ne m’avait jamais dérangé auparavant. Quand je voulais me détendre, comme je me sentais coupable de ne pas avoir appris assez de choses, j’étais toujours dans l’hyperproductivité. Lorsque je regardais une simple vidéo drôle ou que je dormais trop longtemps, je culpabilisais et me disais que peut-être je devrais faire des activités plus utiles.

Par ailleurs j’avais des choses impératives à faire comme, rendre des devoirs maison, faire ma demande de bourse du Crous, faire mes vœux sur Parcoursup, finir cet article. Le problème est que lorsque je me sens trop surchargée, quand je sens que je dois vraiment faire beaucoup de choses importantes, je suis comme paralysée. Là tout le stress que j’avais de ne pas avoir suffisamment de connaissances, de devoir réfléchir à mes soucis familiaux, mes complexes sur ma façon de parler, mon apparence, a été remplacé par l’abandon. Au lieu d’essayer de faire toutes ces choses c’était comme si mon cerveau se mettait en position fœtale pour se protéger des pensées négatives et me forçait à me reposer, à dormir et ne rien faire de productif pendant quelques jours.

 

Sheryl Devic


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