Élection(s) à Trappes


Il est des élections qui se démarquent, qui ne sont pas comme les autres ; des élections qui attirent davantage les regards, agitent les esprits et font vrombir, plus encore que de coutume, le brouhaha incessant des commentaires. Celle du 10 octobre 2021 en fut, à ne pas douter.

 

À la nuit tombée, vers 22h, Ali Rabeh arrive à la mairie dans une atmosphère de liesse. Autour de lui des mères de famille, des jeunes et des moins jeunes scandent son prénom lorsqu’il pénètre dans l’enceinte de l’Hôtel-de-ville. Avec 58,36% (contre 34,89% pour Othman Nasrou, 5,21% pour Luc Miserey et 1,54% pour Patrick Planque), Rabeh l’emporte dès le premier tour. La participation a, quant à elle, augmenté de 7 points par rapport à l’élection de juin 2020. À nouveau maire, Ali Rabeh peut prendre le micro et demander le score du match de football entre l’équipe de France et l’Espagne qui se joue au même moment. « 2 – 1 » lui souffle-t-on, « alors aujourd’hui, la France a gagné deux fois », énonce l’édile pour commencer son discours. En plus des remerciements, il évoque tour à tour les notions de fierté, d’honneur, de dignité et de responsabilité. Puis il prévient de son ambition : « Faire de Trappes, une ville belle et désirable ». Un espoir se dessine dans les yeux de ses partisans. L’une d’eux crie : « Vive la France, vive la République ! ». Formule toute désignée pour annoncer l’épilogue : la salle entonne La Marseillaise, en chœur, puis elle fait sienne un chant sportif qu’elle transforme en chant démocratique : « On a voté, on a gagné ! ». Pourtant tout ne fut pas si facile pour le détenteur du pouvoir suprême, à la mairie de Trappes.

Pouvait-il en être autrement ? Depuis deux ans, Trappes vit une situation politique digne des tragédies de Corneille avec cette imbrication du politique et du personnel. Le premier acte n’est pourtant pas vieux. Comme le veut la tradition théâtrale, il a débuté au son du bâton. Trois coups. Lever de rideau. Une famille se déchire. En juin 2020, Ali Rabeh (Génération.s) l’a emporté sur Guy Malandain (PS, puis LREM) qui occupait le poste de maire depuis… 2001. On le sait, les fins d’époque ne s’achèvent jamais sans heurts. Tous deux anciens encartés du PS, Rabeh un temps adjoint de Malandain, la séparation entre les deux hommes ne pouvait ainsi manquer de faire jaser. Elle dépasse pourtant la simple dimension humaine et illustre surtout l’état actuel d’une gauche qui a désormais du mal à se mettre d’accord sur bien des points.

Le deuxième acte du drame n’est pas venu de l’intérieur – « à gauche » – mais de l’extérieur. Il voit survenir sur scène Othman Nasrou (LR), un proche de Valérie Pécresse, qui a fini second à l’élection municipale du printemps 2020. Dès le mois de décembre 2020, celui-ci conteste les comptes de campagne de son concurrent et pointe une action de solidarité (un don de masques chirurgicaux pour lutter contre la COVID-19 non comptabilisé dans les comptes de campagne) qu’il considère comme une irrégularité. En février 2021, le tribunal administratif de Versailles lui donne raison conduisant Ali Rabeh à porter la question devant le Conseil d’État qui prononce l’annulation de l’élection et sa réorganisation au mois d’août 2021. Ali Rabeh maire redevient candidat, Othman Nasrou également (avec en sus et désormais sur sa liste le ralliement remarqué de… Guy Malandain). Pour clore la marche de ces nouvelles candidatures se présentent Luc Miserey (Trappes à gauche) et Patrick Planque de Lutte ouvrière.

Entre temps, la bataille homérique qui s’était d’abord déroulée devant les électeurs, puis devant le juge administratif, se voit médiatiser aux yeux du grand public sous le prisme de « l’affaire Didier Lemaire » du nom de ce Professeur de Philosophie qui exerçait jusqu’alors au lycée de la Plaine de Neauphle. En février 2021, au lendemain du meurtre de Samuel Paty, Didier Lemaire alerte les médias sur la situation de la ville de Trappes qu’il désigne comme gangrénée par l’islamisme et le communautarisme, état des lieux contre lequel Ali Rabeh s’élève vigoureusement. Il n’en faut pas plus pour que la situation locale de Trappe bascule en dispute nationale, avec des pro et des contra, ceci dans le contexte de grande tension du pays que l’on connait et qui accompagne toutes les discussions touchant à l’Islam, les banlieues, l’urbanisme, le rapport du religieux et du politique.

Dans le même temps, cette nationalisation de l’élection municipale se couple à sa personnalisation. Dès la décision du Conseil d’État et des nouvelles élections à venir, certains adversaires d’Ali Rabeh contestent moins une politique générale qu’un homme transformant l’enjeu du vote en une sorte de plébiscite : « avec ou contre Rabeh ». C’est ainsi que se forme un triumvirat autour d’Othman Nasrou, de Guy Malandain et de Mustapha Larbaoui, pharmacien, ancien président du club de foot reconnu pour son travail auprès des jeunes, et acteur de la politique local depuis peu. Le trio évoque, pour justifier cette alliance transpartisane, la nécessité de former « une union républicaine » quand Ali Rabeh parle de « tambouille politique ». À la rentrée, la situation se tend. Rogation Bouchereau, directeur de campagne d’Ali Rabeh, est menacé de mort à plusieurs reprises. Parallèlement, l’ensemble des journaux hexagonaux écrivent sur le sujet (Le Figaro, Médiapart, Valeurs actuelles, Libération) donnant une coloration de plus en plus idéologique au vote.

Pourtant, sur la place, le dimanche 10 octobre, il est moins question d’idéologie que de retour à l’étymologie première de l’élection, du mot latin electio signifiant « choix. À la cité Jean Macé, quartier qui votera majoritairement pour Ali Rabeh, plusieurs électeurs justifie ce choix : « On vote Rabeh parce qu’il est souvent venu dans le square et pas uniquement le week-end précédant les élections ». La présence et non la promesse, contrairement à ce l’électorat français fustige souvent dans les campagnes politiques. « Il ne nous a rien promis », rajoute Mehdi (le prénom a été modifié), « il a simplement dit, on verra ce qu’on peut faire pour l’amélioration de la cité ». On le sait, la mairie ne croule pas sous les euros. Le soir du 10 octobre, la liste d’Othman Nasrou (Union républicaine pour Trappes !) l’emporte au bureau de vote de l’Hôtel de ville avec 189 voix des 350 suffrages exprimés. Tous les autres bureaux de vote voient Ali Rabeh l’emporter au désespoir de concurrent principal qui ne tardera pas à contester à nouveau ce résultat devant le juge de l’élection, pour des motifs qui lui donnent peu d’espoir de l’emporter sur ce terrain une fois encore. Depuis le dimanche 10 octobre dernier, Trappes et Marianne ont désormais un nouveau ancien maire, qui lui murmurent certainement les paroles du Cid : « parmi tes hauts faits sois-lui toujours fidèle ; Reviens-en, s’il se peut, encore plus digne d’elle » (Acte V, Scène VII)

 

Thomas Jehan


Articles similaires

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'installation et l'utilisation de cookies sur votre poste, notamment à des fins d'analyse d'audience, dans le respect de notre politique de protection de votre vie privée.