C’était le jeudi 28 janvier 2016, j’arrive à la fac, fatiguée (comme toujours j’ai envie de dire). Je pousse difficilement la porte de l’amphi 5 pour entrer et LÀ… même la fatigue n’a pu me faire passer à côté d’une énorme écriture rouge inscrite sur la porte.
Il y avait écrit « Islam hors d’Europe ». Choquée, je m’arrête pour regarder et je vois les gens qui passent et qui n’ont pas l’air d’être choqués ou dérangés plus que ça.
Il faut avouer que les musulmans dans notre promo sont minoritaires, je peux donc comprendre (difficilement) que les autres ne se sentent pas concernés et qu’ils s’en fichent. Mais ce que je trouve scandaleux c’est d’en parler à d’autres musulmans de ma promo et de constater un sentiment d’impuissance et de banalisation d’actes qui sont aujourd’hui intolérables vu ce contexte de lutte commune contre la menace terroriste d’un côté et la montée d’idéaux extrémistes d’un autre, qui nécessite une grande réforme dans la manière dont les français envisagent leurs rapports entre eux afin de former une nation solide formée de différentes cultures.
J’étais donc la seule personne révoltée, choquée et effrayée par l’indifférence des autres. Le lendemain je constate que l’administration n’a pas encore été informée de ce petit incident.
Le soir, je vois sur le groupe Facebook de notre promo que quelqu’un a également trouvé une inscription antisémite dans les toilettes des hommes. Je regarde les commentaires de mes chers camarades et je constate qu’il y a pire que l’indifférence … on prend les gens qui dénoncent ces actes pour des fous. Un certain Luc nous a fait part d’une réflexion d’une finesse … Je cite « personnellement je serais plus choqué et inquiet de voir un “daesh baqiya” mais jusqu’ici j’ai rien vu de tel alors je le vis plutôt bien… ». Dois-je commenter ce genre de bêtises ? Dois-je rappeler qu’on ne hiérarchise pas deux problèmes complétement différents ? Comment dois-je le prendre en tant que musulmane qui essaye tant bien que mal de se sentir chez elle ?
J’envoie donc un mail à la doyenne pour lui exposer mon point de vue concernant la banalisation d’actes illégaux de nature antisémite et antimusulmane dans une fac de droit. La doyenne me promet alors de mettre un coup de peinture et de réfléchir à une manière de sensibiliser les étudiants. La première disposition a bien été appliquée quant à la deuxième ….
Il est facile d’effacer des écritures et de faire comme si ça ne s’était jamais produit. Mais le silence implique dans les petits cerveaux des étudiants que c’est tout à fait normal de voir ça et que c’est normal finalement qu’une minorité soit exclue et pointée du doigt.
Avant cet incident je me sentais tout à fait en sécurité dans ma fac, je pensais avoir à faire à des gens réfléchis qui savaient faire la part des choses. Mais depuis, j’ai développé (malheureusement) de la paranoïa et j’ai l’impression d’être vue comme la MUSULMANE et non comme l’étudiante en droit.
Je me rends compte qu’on nous enseigne l’histoire depuis tout petits à l’école mais on ne nous apprend pas assez apparemment à en tirer des leçons. Alors continuons à ne rien dire, à vivre repliés sur nous-même et à s’étonner que la violence sociale dans notre pays devienne notre quotidien.
Dikra Saadi