Trappes-Molenbeek

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Sur une radio nationale, à une heure de grande écoute, Monsieur Ribeiro, syndicaliste policier chez Synergie Officiers, en vue certainement de donner des clés de lecture à ses auditeurs sur la terrible vague d’attentats dont nous nous sentons tous victimes, a comparé Trappes à Molenbeek. En effet, selon lui, « si on compare le repli sur soi-même, le substrat (sic) communautaire, et puis l’adhésion d’une partie de la population aux actes qui ont été commis, eh bien oui c’est quelque chose qui est tout à fait comparable ». Puis il ajoute, pris d’une inspiration proche de la philosophie politique : « Et cette adhésion elle est le pendant du rejet des valeurs de démocratie, enfin des valeurs qui sont les valeurs de l’Occident aujourd’hui ». Bon, déjà, c’est pas sympa pour Molenbeek, devenu d’un coup figure ultime de l’anti-modèle, de l’Orient, du Mal. Et par la force de la comparaison, c’est pas sympa pour Trappes non plus, de dire « qu’une partie » (une grosse ou une petite partie ? une très grosse à mon avis) de la population rejette les valeurs démocratiques (de liberté, d’égalité et de fraternité ?) en plus de rejeter les valeurs de l’Occident, dont on craint de savoir ce qu’elles sont, et dont Monsieur Ribeiro serait a contrario et implicitement un des symboles. En cette matière comme en d’autres, comparaison, surtout quand elle est le fait de Monsieur Ribeiro, n’est pas raison.

« Molenbeek », « Trappes ». Ce sont des marques qui font vendre au point qu’elles sont actuellement disponibles dans tous les bons médias et bonnes librairies. On risque de les trouver bientôt sur des paquets de céréales, des couches culottes, des mugs de policiers. Mais « Molenbeek », « Trappes », de quoi parle-t-on (quand on parle sérieusement) ? Parle-t-on de territoires ou de populations ? On a rarement vu un territoire entier posé une bombe. C’est donc qu’on parle d’une population. Et parle-t-on de la minorité de terroristes djihadistes suicidaires, au sein de la population de ce territoire, ou de la population dans son ensemble ? En un mot, toute la population de Molenbeek serait-elle terroriste djihadiste et suicidaire ? Le doute s’installe. Bien plus, est-ce que dans l’esprit de Monsieur Ribeiro associer Trappes à « Molenbeek » signifierait associer l’ensemble des habitants de Trappes à cette poignée de criminels ? Sur la même veine, mais à un degré d’abstraction supérieur, le « des Molenbeek il y en a partout en France » de Monsieur Ribeiro pourrait être perçu comme un euphémisme naïf aux yeux du journaliste de Fox News selon lequel, on en doute pas, bientôt, « Molenbeek, c’est la France. ».

La bêtise de tels procédés saute aux yeux. Comment expliquer à tous les Messieurs Ribeiro qu’il n’y a pas tous les méchants sur un territoire, et a contrario tous les bons sur les autres. Les bons, les brutes et les truands se retrouvent partout dans toutes les villes françaises et du monde. En outre, comment leur expliquer qu’associer l’ensemble d’une population à certains des éléments qui vivent parmi elle, reviendrait par exemple à associer, sur un autre terrain, l’ensemble des forces de police aux brebis galeuses qui commettent en son nom des bavures, aux corrompus, aux déchus qui frappent du point le visage d’un lycéen ? Ça serait ternir l’ensemble de ses effectifs. Ça serait idiot.

Pourtant, le fait d’entendre de tels propos sur Trappes, ne fait que renforcer la fierté des Trappistes qui sont, ni plus ni moins, mais aussi chaleureux et accueillants que les autres. Car la chose est maintenant bien claire, dans leur aveuglement les médias traditionnels ne mettent pas assez en avant, comme ils le font sur d’autres territoires, ce qui s’y passe de positif. L’expérience du Trappy Blog, parmi tant d’autres, montre pourtant que les jeunes en banlieues sont capables du meilleur, et notamment de tenter de faire bouger la société dans laquelle ils vivent.

Ceci dit, une question plus sérieuse se pose : de quelle compétence s’autorise Patrice Ribeiro pour nous faire part publiquement de l’essence de sa pensée ? Ce policier connaîtrait-il à ce point le terrain ? A‑t-il des informations précises qu’il ne nous livre pas ? Si c’est effectivement le cas, Monsieur Ribeiro, pourquoi ne stoppez-vous pas immédiatement, pour le bien de tous, ces malfrats dont vous parlez ? Si ce n’est pas le cas, c’est que Monsieur Ribeiro, policier en charge du maintien de l’ordre, prend la parole pour attester, en la matière, son incompétence. Mais qui sait, peut-être s’autorise-t-il d’un autre type d’autorité ? Patrice Ribeiro serait-il un intellectuel de plus, un sociologue, un universitaire, un journaliste, un « philosophe » ? Qu’est-il, finalement, Monsieur Ribeiro ? Ne vous y trompez pas ! Il n’est que le représentant, non de l’ensemble de sa corporation, mais d’un syndicat connu pour ses prises de position radicales. Il n’est qu’une partie du tout parti de rien.

David Thomson regrettait dernièrement qu’au sein de la galaxie médiatique de nombreux prétendus experts du djihadisme n’étaient que des incompétents nécessaires. Au final, on se demande où se situe Monsieur Ribeiro dans ce panel d’experts ?

Vous me direz, c’est la loi du genre médiatique. Associer l’ensemble de la population d’une ville française à l’ensemble de la population d’une ville belge, associée elle-même à une infime minorité d’assassins, cette ânerie, vu le contexte, il fallait bien qu’elle fut dite. C’est tombé sur Sevran, c’est tombé sur Argenteuil, sur Trappes et sur Monsieur Ribeiro.

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