Si Trappes était un plat ou une boisson ?
Je peux en dire deux ? Oui ? Alors du thé à la menthe ou la boisson au gingembre que m’avait apporté une mère d’élève parce que j’étais fatiguée. On avait bien rigolé toutes les deux. Elle m’avait demandé si j’avais un homme dans mon lit, car c’était censé avoir des pouvoirs aphrodisiaques, mais ça n’a pas marché, je n’ai jamais aussi bien dormi ! (rires) C’était la fin de la première année où j’enseignais à Trappes, j’étais épuisée.
Et pourquoi le thé à la menthe ?
Ben parce que c’est des souvenirs de moments sympas. Quand je venais chercher mes enfants chez la nourrice, souvent elle m’offrait un thé à la menthe. Le thé à la menthe, c’est un moment d’échanges, de discussions, de rigolades…C’est un moment convivial.
Et si c’était un plat… En fait, je me rappelle de plusieurs plats. Je n’en connais pas les noms. Une année, on avait travaillé sur la cuisine. L’année avait été ponctuée avec des repas avec les familles. Les familles venaient à l’école et on préparait un grand repas pour tout le monde. Donc il y avait eu le repas africain, le repas des pays du monde arabe, le repas asiatique. On achetait les produits avec eux. On était même allées chez Tang [ndlr : supermarché asiatique à Paris] en combi [ndlr :pas en combinaison mais en combi Volkswagen] avec les mamans de l’école. Il y avait 3 ou 4 mamans d’origine asiatique et elles étaient très contentes de nous faire partager ça. Elles nous montraient les produits qu’elles utilisaient. Moi, je ne connaissais rien… C’était très sympa. J’ai plein de souvenirs de saveurs, mais j’en ai pas un en particulier.
Si Trappes était une odeur ?
L’odeur des poivrons grillés. Quand la voisine d’en face faisait sa mâtinée poivrons grillés dans son garage, et ça embaumait dans toute la rue. J’en avais mangé une fois ou deux avant de venir à Trappes, c’est vrai que j’adorais ça. Et là, c’est vraiment une odeur très particulière. Ça pique, quoi. C’est synonyme de gourmandise.
Si Trappes était un son ou une musique ?
Y en a plusieurs et c’est pas aux mêmes époques. Quand j’habitais à Stendhal et maintenant que j’habite au Village, y a pas du tout les mêmes. Quand j’étais à Stendhal, c’est plutôt les radios des pays d’origines. Quand on passait dans la rue, dans chaque maison t’entendais des radios ou la télé, les sonorités des langues qui sont particulières à chaque fois. A Jean Jaurès, c’était malheureusement le bruit de la Nationale, qui est quand même très présent dans Trappes. Au Village, des fois quand je ferme les yeux, j’entends les cloches de l’église, les poules du voisins, j’ai presque l’impression d’être à la campagne. Et puis régulièrement le matin et le soir, au printemps et à l’automne, y a des oiseaux qui passent au-dessus de notre immeuble. Ils se repèrent entre eux en criant et on entend ces cris-là. C’est aussi un son important.
Y a un autre son aussi : un 31 décembre, on venait d’arriver à Stendhal. Des amis étaient venus fêter le réveillon avec nous. A minuit, il y a eu un tintamarre pas possible. On est allés à la fenêtre voir ce qui se passait. C’était tous les gens du square de la Commune qui frappaient dans des casseroles, dans des couvercles, et ça résonnait partout. J’avais trouvé ça super chouette.
Et aussi quand tu me parles de son… En 1992, l’année où j’ai travaillé à l’école Mourguet. A ce moment là, elle était à côté du marché. Y’avait pas longtemps que la Merise existait, et le commissariat. Et l’esplanade, à l’époque, c’était un terrain vague. C’était la place du marché. Et l’école, c’était des préfas juste à côté. Donc le marché s’installait tout autour de l’école. Et on aurait pu faire notre marché de la cour à la limite…C’était marrant. Quand on allait en récrés ces matins-là… Alors déjà t’avais des sacs plastiques multicolores qui volaient dans tous les sens. Ça avait un côté assez rigolo, poétique, toutes ces couleurs… Ça faisait vraiment l’effet de ballons de baudruches. Et t’avais tout les cris des marchands qui étaient là pour apostropher les passants, toutes les langues. C’était le début où je travaillais à Trappes, donc je découvrais la ville (rires).
Si tu ne vivais pas dans cette ville ou aimerais-tu habiter ?
Clairement, moi, j’aimerai habiter dans la Manche. C’est pas du tout la même ambiance, mais c’est un autre endroit que j’aime beaucoup. Il y a beaucoup d’espace, des grands horizons, la mer, la campagne. Plus je rencontre des gens là-bas, plus je remarque qu’il y a une vie associative, donc ça m’intéresse.
Tu trouves qu’à Trappes, y a pas beaucoup de grands espaces ?
Si, dans certains quartiers. C’est une ville où il y a beaucoup d’espaces verts. Tu as encore des quartiers qui sont assez enclavés, complètement refermés sur eux-mêmes. Il y a des quartiers très différents les uns des autres. Ça pourrait être un sacré atout si on arrivait à redynamiser chaque quartier.
Ce que j’aime bien à Trappes, c’est qu’il y a plein de gens, d’horizons très différents, qui se côtoient. Y en a quand même une majorité qui est dans l’ouverture à l’autre et à d’autres cultures. Même si des tensions sont apparues, qui se durcissent dans la vie quotidienne. Mais ça pour moi, c’est un point primordial. On vit tous ensemble avec nos cultures différentes, et je trouve que c’est très enrichissant.
Quand tu es arrivée comme enseignante à Trappes, tu avais cette impression de mélange ?
Dans mon précédant travail d’animation, j’avais déjà côtoyé différents milieux. Mais aux Merisiers, t’avais l’impression de débarquer sur une autre planète. C’était étonnant. Comme si j’étais partie en voyage autour du monde. Ce qui était particulièrement difficile en tant que jeune enseignante débutante, c’était de comprendre chaque enfant avec ses références culturelles propres. C’est vraiment le choc des cultures. Ça a été une sacrée prise de conscience, car je n’imaginais pas des décalages aussi importants. J’ai trouvé ça passionnant car j’ai découvert plein de cultures, et j’ai rencontré des gens très intéressants. J’étais curieuse de tout ça. Et je suis parfois déçue de voir que les gens, dans notre société actuelle, ont tendance à se renfermer sur eux-mêmes. A être beaucoup dans les jugements de valeurs. C’est dommage de fermer la porte, car je trouve qu’on a beaucoup de choses en commun et beaucoup de choses à s’apporter. C’est un enrichissement commun.