La librairie le Mille-Feuilles de Trappes a fermé ses portes au mois de juillet dernier en raison d’une baisse de ses subventions de fonctionnement. Cette activité associative avait pour fonction de proposer des livres d’occasion à des prix défiant toute concurrence ainsi que permettre le retour à l’emploi de personnes éloignées du monde du travail. J’étais une de ces personnes.
Février 2016, je rends visite à la librairie le Mille Feuilles. L’ambiance est différente, comme ralenti. Conscient des problèmes que traverse le chantier, j’interroge Émilie, la responsable du Mille-Feuilles. Elle les minimise, pour se rassurer. Je la connais bien. Il y a un an j’intégrais l’équipe de la librairie. Un parcours qui se révélera une véritable étape dans ma jeune vie.
Tout commença le 5 janvier 2015. Jeune bachelier de 22 ans, paumé par deux ans de chômage et de déboires personnels, je trouve ici le moyen de toucher mon rêve de travailler dans une librairie et de construire un nouveau projet professionnel. Pas à l’aise, c’est comme cela que je décrirais mes premiers jours. C’était la première fois que j’étais salarié alors je me suis mis la pression. Heureusement qu’Émilie Bertrand, la chef du chantier, n’est pas du genre maternant ! Un coup de pied au cul (au sens figuré), il n’a rien de mieux pour motiver un jeune comme je l’étais.
Un début marqué par le drame de Charlie Hebdo
La prise de responsabilité commence dés le premier jour. Dans un premier temps on me nomme responsable de la caisse. Je suis formé par Olivier, un de mes collègues. Mon rôle consiste à encaisser les clients et établir le fond de caisse le matin en retirant les sous gagnés la veille. D’autres responsabilités s’imposent à moi très vite. Émilie me demande de gérer l’espace de vente (accueillir et conseiller les clients, entretenir l’espace de vente, ranger les rayons…), fixer les prix en fonction de la taille, de l’état et du type de livre et de mettre en scène des vitrines. Le 7 janvier, encouragé par Émilie, je décide de lancer ma première vitrine. Je choisis la Méditerranée comme thème et avec l’aide d’Olivier la vitrine est terminé à l’heure du déjeuner. À 13h30, on reprend le travail et on descend tous les escaliers (certains prolongent avec une pause cigarette) mais Émilie nous arrête tous : Il y a eu une fusillade à la rédaction de Charlie Hebdo. Interloqués, peu d’entre nous comprenait alors que c’était un attentat : « Ils se sont foutus sur la gueule ou quoi ? » ironise Daniel. Émilie me demande rapidement de changer ma vitrine pour mettre en avant le journalisme satirique : BD, romans, anthologie de journaux, sans y mettre aucun prix. Pendant que je mets en place la vitrine, Émilie annonce les nouvelles qui tombent et les noms des victimes avec… Je n’ai pas encore cette culture, je n’y connais rien en journaux satiriques et je fais semblant de comprendre. Un nom me parle tout de même et me ramène à des souvenirs enfantin : Charb et mes quotidiens d’ados. Bruno, mon collègue graphiste me ramène une affiche qu’il a imprimée à notre demande, je la pose en vitrine : Je suis Charlie !
Qu’aurais-je fait si je n’avais pas été au Mille-Feuilles à ce moment-là. Aurais-je regarder tout cela seul devant ma télé ? Comment aurais-je encaissé le coup ?
Un nouveau projet pour un nouveau départ
La vie au sein de la librairie se passait agréablement. Je reprenais confiance en moi, je commençais à penser à mon avenir. Mon nouveau projet prit forme avec l’arrivé de l’été. Je me suis absenté deux semaines en juin et deux semaines en octobre pour faire des stages dans les magasins de produits issus de l’agriculture biologique. Entre temps, je me suis inscrit à une formation en continue pour me spécialiser dans la vente de produits bio. En octobre, alors que j’étais en stage, je fus convoqué à une matinée « réunion en entretien individuel » pour la formation que je convoitais. Content d’être accepté, j’accourais le jour même à la librairie pour annoncer la bonne nouvelle à tout le monde. Joie de courte durée car Émilie, la mine déconfite, m’annonce qu’elle était sur le point de m’appeler pour me fait part de la triste nouvelle : une de mes collègues était décédée. Nous formions un véritable tandem, c’était un terrible choc. Depuis, de nombreuses situations me rappellent ce que nous avons partagé, et la manière dont elle m’a aidée. Le 27 octobre, je quittais le Mille Feuille et Bleu Oxygène en remerciant Émilie et chaque acteur de Bleu Oxygène de tout mon cœur, riche d’une expérience professionnelle et surtout humaine qui m’a permis de me (re)construire.
Tristan Péribois