L’attente

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Pendant trois mois, l’an dernier, j’ai vécu au côté de migrants primo-arrivants à Nîmes. Pendant que je faisais un stage de restauration de livres anciens, eux essayaient de devenir français. À la suite du visionnage du documentaire « La Permanence » d’Alice Diop, je me rappelle de mon quotidien auprès d’eux.

Ce soir, je n’arrive pas à dormir. J’ai vu « La Permanence », un documentaire d’Alice Diop. Cette réalisatrice et sociologue française s’intéresse aux questions d’immigration. Pendant un an, elle a filmé des consultations de migrants primo-arrivants chez un médecin généraliste. Mis bout à bout, ces courts moments racontent la dureté de leurs vies et l’attente qui est leur quotidien. Cette attente, je l’ai vécue à travers la rencontre de jeunes migrants primo-arrivants au Foyer Jeunes Travailleurs de Nîmes. J’y ai habité pendant 3 mois l’an dernier, pour faire un stage de restauration de livres anciens. Pendant ce temps, eux essayaient de devenir français.

Une attente qui commence au bord de la Méditerranée.

Une fois arrivés en France, ils pensaient que c’était bientôt la fin de leur périple. Après avoir vécu avec eux, je me rends compte que ce n’est que le début. D’après ce que j’avais compris, une partie des places du foyer était réservée par la Croix-Rouge. Plus de places à Marseille, plus de places à Paris, les migrants étaient renvoyés à Nîmes. Maliens, Afghans, Ukrainiens, Algériens… Ils arrivaient tous illégalement, par l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne. On préparait à manger ensemble dans la cuisine de l’étage, qui était commune. Un migrant afghan logeait à mon étage. Il avait été cuisinier en Angleterre. Il laissait souvent un plat sur la table avec un écriteau : « Take a plate :) ». Je recommande la cuisine afghane !

Les deux Maliens de la chambre à côté, eux, ne savaient pas cuisiner, ni lire, ni écrire. Pendant que je leur apprenais à faire des pâtes et du riz, ils me racontaient leurs voyages. Environ un an avant de partir, ils avaient tous deux commencé à faire des économies pour payer le voyage. Puis ils avaient traversé l’Afrique jusqu’au Maghreb. Là commence l’attente, pour traverser la Méditerranée en direction de l’Italie ou de l’Espagne. Un des deux avait perdu son meilleur ami, parti dans un bateau deux jours avant lui, mort noyé. La traversée s’est faite dans une barque surchargée. Les personnes y étaient tassées, sans pouvoir bouger pendant plusieurs jours, ni dormir. Puis, ils avaient traversé l’Italie pour l’un, l’Espagne pour l’autre. Fait tous les deux le choix de la France, pour la langue.

La découverte de nouvelles mœurs 

Parmi les choses qui revenaient beaucoup dans les discussions, c’était la peur de retourner au pays. Pour des raisons politico-religieuses pour certains, des questions d’honneur pour tous. Ce qui engendrait la peur de ne pas réussir à donner les bons papiers à temps, de ne pas comprendre ce qu’il fallait faire, de ne pas réussir à trouver un travail pour pouvoir rester. Car sans travail, sans être déclaré à un organisme, on n’a aucune aide financière. Et sans argent, on ne survit pas. La Croix-Rouge leur donnait des dons alimentaires au foyer. Mais plusieurs problèmes se posaient alors : comment cela se cuisine-t-il ? Se conserve-t-il ? Vais-je aimer le goût ?

Pour faciliter leur vie quotidienne, ils avaient des cours de cuisine et de français au foyer. Des fois, ils venaient toquer à ma porte pour que je les aide ou que je corrige les erreurs dans leurs devoirs. Ils découvraient plein de choses lors de leur intégration. Parmi elles, les mœurs d’ici. Un soir, on m’a demandée en mariage deux fois en deux heures. Face à l’incompréhension qui a suivi le « Oui, j’ai 22 ans, je ne suis pas mariée, je vis seule et sans enfant, et je veux le rester. », une explication s’est imposée sur le fait que beaucoup de femmes de 22 ans en France sont célibataire, sans enfant. On a bien ri de cette discussion après, avec mes ex-prétendants.

La force de tenir debout

Une entraide remarquable régnait à l’étage. Nous n’avions pas les mêmes soucis, mais nous partagions les bonnes et les mauvaises nouvelles. Les personnes faisaient attention les unes aux autres. Ils proposaient de m’apporter des choses si j’en manquais. M’ont offert des fraises à la chantilly un soir où j’avais pas trop le moral. M’ont proposé de m’aider le jour de mon déménagement. L’un des migrants a réussi a trouvé un stage de boulanger quand j’étais encore au foyer. J’étais très heureuse pour lui de voir son projet se réaliser. Ça laisse espérer que la société leur accorde une place ici, qu’ils ont droit à un second départ dans notre pays.

J’ai encore du mal à mettre les mots sur cette expérience. Le fait que ces hommes et ces femmes sont capables de tout abandonner au pays, de risquer leur vie durant un long voyage payé un prix exorbitant… Ils arrivent en France avec l’espoir qu’ils auront une vie meilleure. Mais le voyage n’est que le début d’une très longue attente qui va peut-être déboucher sur rien. L’attente dans les files de la préfecture, au tribunal, dans les services sociaux et associatifs… L’attente des récépissés, de réponse à leur demande, à leurs questions… Et le stress, l’angoisse, la solitude, parfois la dépression nerveuse que tout cela engendre. J’ai vécu 3 mois à leurs côtés. J’ai vécu les espoirs et la foi qu’ils plaçaient en la France, je me disais souvent qu’ils étaient plus patriotes que moi, qui suis née française. Je trouvais incroyable la force qui leur permettait de tenir debout. D’espérer encore. D’attendre plus longtemps.

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Infos de l'auteur

Babtou rousse ayant grandi à Trappes, j'aime les vieux livres, l'art, le théâtre, la danse, le cinéma. Côté étude : diplômée en reliure-dorure à l’École Estienne, je suis actuellement en licence de Préservation des Biens Culturels à Paris 1. Je m'intéresse beaucoup aux questions de culture, de transmission, d'environnement, d'histoire dans les sociétés. J'aime apprendre des autres de nouvelles choses.