J’aimerais jouer au naïf, pour conter ma rencontre avec la ville.
A la campagne, le soir, pas un bruit. De temps à autre une voiture qui dévale la rue et qui ne fait pas le stop. Alors quand après avoir habité entre deux champs durant toute son enfance, son adolescence, puis les années d’études, on emménage en ville, la rue est un mystère, la fenêtre devient un écran de cinéma.
Rapidement, le soir, scruter les passants devient une activité à part entière. Un tel passe une fois, puis il repasse, ah tient celui-là je l’ai vu hier, et cette voiture elle se gare toujours de travers, elle rogne sur la bande cyclable. A telle heure c’est les embouteillages, à telle heure c’est plus calme. D’autant plus quand l’appartement dans lequel vous emménagez est en face d’une gare, et plus encore quand il n’y a pas de double vitrage. Tout de suite, la rue s’installe dans le salon. Les gens passe devant votre canapé, et les trains au bout du lit. Et c’est un ballet devant la fenêtre, un ballet multicolore : les blancs montent vers le haut de la ville depuis la gare et les arabes descendent vers le bas.
Un des premiers soir, mon attention se focalise sur la « supérette » en face de chez moi, l’arabe ouvert jusqu’à pas d’heure, dans lequel on trouve des produits avec des arabesques sur l’emballage. Il y a du passage là dedans, de tant à autre la femme à la caisse sort sur le perron et regarde les voitures les mains sur les hanches. C’est assez beau ces fruits et ces légumes qui bordent la rue.
Mais j’anticipe les heures de sommeil en moins quand s’accumulent au cours de la soirée des jeunes black-blanc-beurs qui forment un groupe sur les trois places de parking qui longent la boutique. Ils fond du bruit tout de même. Moi sans mon double vitrage, je les entends qui bousculent les phrases que je tente de saisir avec mon bouquin entre les mains. A la fenêtre je les observe faire des tours de vélo, gêner les voitures, crier, s’interpeller, utiliser toute la rue.
C’est vrai qu’au village, c’était impossible ça. D’abord il n’y a pas de trottoir, ensuite il n’y a pas de supermarché, ni de jeunes, ni de voiture.
Et ils restent là toute la soirée, et je m’interroge, je ne connais pas la ville, je me demande si c’est normal. C’est ça la vie en ville ? des gens qui s’accumulent sur les trottoirs ?
Et puis quand finalement l’arabe ferme ses portes, l’attroupement se disperse, coule dans les rues alentours, en prenant soin auparavant de donner un coup de main pour ranger les bac de fruits. En prenant soin d’empiler les poubelles pour pas qu’elles encombrent le trottoir.
Deux semaines plus tard, c’est le classico, Paris/Marseille, et vu les performances du club francilien ce n’est pas perdre sa soirée que d’aller les voir jouer dans un bar, un peu plus haut dans la rue.
Attablé autour d’une bière avec des potes, je reconnais plus loin, debout sur les chaises, vociférant, mes potes de la superette. Quand Batshuayi marque, ils hurlent. Puis je lève mon verre vers eux, et eux font de même quand Ibra égalise.
Maintenant je ne regarde presque plus par la fenêtre, quand je le fais je me rappelle du bar et du but, et je ne m’inquiète plus vraiment pour mon sommeil. On s’habitue vite à la ville.