Faire procuration, c’est une galère. Dans une filière comme la science politique, les étudiants sont plutôt politisés. Ils parlent politique, ils crient haut et fort que voter c’est important… Alors, pour mes camarades qui viennent de Montélimar, Dunkerque, ou Lille, il était absolument nécessaire d’aller voter, d’autant plus pour contrer cette montée du Front National dans leur région. Il fallait pouvoir montrer que les jeunes pouvaient se mobiliser contre cette extrême-droite. Le problème ? Ils font désormais leurs études dans les Yvelines et ne peuvent donc pas se déplacer jusqu’à leur bureau de vote. Alors bien sûr, c’est pas censé être un problème avec le système pro-vi-den-tiel de la procuration. C’est vrai, ils pensaient tous que faire procuration ça allait être rapide, leur prendre quelques heures, surtout avec le nouveau système de « procuration en ligne ». Mais c’est quoi, en fait, la « procuration en ligne ? » En gros, avant, il fallait aller au commissariat où on t’imprimait le formulaire que tu dois remplir. Maintenant, en faisant ta procuration en ligne, c’est toi qui imprimes le formulaire, tu le remplis, puis tu vas le montrer au commissariat. C’est tellement génial la procuration en ligne, ça change tellement tout…
Alia a voulu faire procuration, en s’y prenant une semaine avant. Elle est super enthousiaste, elle vient d’avoir 18ans !Elle se renseigne d’abord sur internet. Elle peut faire procu’ soit au commissariat, soit à la gendarmerie, soit au tribunal d’instance. Elle appelle pour savoir si elle peut venir faire procuration au commissariat entre 18h30 et 19h en sortant des cours. Au téléphone on lui assure qu’il n’y a aucun problème tant qu’elle est là avant 19h. Elle se déplace donc au commissariat avec son formulaire et tous ses papiers en règle pour aller faire joyeusement son devoir de citoyenne. Arrivée au commissariat, elle apprend par un officier qu’en fait « Non, mademoiselle, il n’y a plus personne pour prendre votre procuration après 18h, je suis le seul ici et je ne peux pas signer votre procuration ». Décidément, elle a été mal renseignée.
Peu importe, Alia reste déterminée à voter. Seulement… c’est un peu mal foutu ces institutions qui ouvrent tard et ferment tôt… est-ce qu’ils pensent aux étudiants qui tafent ? En fait, il n’y a que les personnes agées et les chômeurs qui peuvent aller faire procuration avec ces horaires. Alia réussit tout de même à retourner au commissariat un vendredi matin avant ses cours. Mais après 45 minutes d’attente, plusieurs personnes ayant des problèmes plus importants étant passés avant elle, elle doit quitter le commissariat, faute de quoi ses cours auraient commencer sans elle…Elle ne put voter au premier tour.
Il y a aussi Pierre arrivé avec son formulaire pour faire procuration, à qui on a demandé d’une manière condescendante : « Vous avez 18 ans au moins ?! » . On lui a ensuite signalé qu’il manquait des informations dans son formulaire, sans savoir lui expliquer ce qu’il manquait. Il n’a pu voter au premier tour.
Pour le second tour, ils ont tout deux retenter l’expérience. Coup de bol, ils tombent sur un policier qui s’y connait ! Le plus drôle, finalement, c’est que c’est l’officier qui avait expliqué à Alia la semaine passée que « lui ne pouvait pas signer des procurations » qui a finalement signé les deux procurations…paradoxal, non ? Ils n’avaient plus qu’à se rendre à la poste et envoyer la procuration. Hallelujah !
J’ai une autre amie encore qui a eu des difficultés. En effet, elle est d’abord allée à la gendarmerie. Lorsqu’elle a voulu y entrer, on lui a dit que puisqu’elle n’était pas militaire, elle n’avait rien à faire ici. Mais… c’est précisé où ça ? Bref, elle va au tribunal, mais encore fallait-il savoir qu’il ferme à 16h… A force d’acharnement, elle parvient à faire procu’ et en prime, c’est le tribunal qui s’occupe d’envoyer sa procuration ! Quelle chance, sauf que celle-ci n’est jamais arrivée à destination.
La procuration, c’est vrai, c’est génial pour des étudiants comme nous qui n’habitons plus chez nos parents. Mais le système a ses limites quand on a cours, et notamment du fait que les horaires d’ouverture pour faire procuration sont en plein milieu de la journée. Alia, qui venait d’avoir 18ans, votait pour la première fois. Elle a presque eu le sentiment que toutes ces complications administratives étaient faites en vue de la désinciter au vote. Elle retient un goût amer de cette première semi-expérience de citoyenne.
La plupart de mes amis qui ne font pas des études de sciences politiques sont très peu intéressés par la politique et se reconnaissent peu dans les différents partis proposés. « Tous des pourris », qu’ils disent, sans vraiment savoir qui sont ce « tous ». Souvent, de petites occupations quotidiennes font qu’ils ne vont pas voter : « je me suis pas levé ce matin » , « j’ai pas eu le temps de consulter les programmes et je veux pas voter pour n’importe qui », « je sais pas quoi voter, et puis quoi, une voix, finalement, ça compte pas ! ». En plus, faire la démarche seul d’aller voter pour une première fois peut être angoissante si personne ne nous a jamais expliqué, si personne ne nous accompagne.
OK, ce système est indispensable, seulement la façon dont la procu’ doit se faire n’est sans doute pas totalement adaptée aux réalités d’une jeunesse qui, si elle n’est pas déterminée et politisée, peut être rapidement désincitée par cette procédure.