Fatima, 25 ans, d’origine algérienne, habite en région parisienne depuis 6 ans. Elle est aujourd’hui en Master 2 à l’université Paris Sud d’Orsay et nous livre l’expérience de son parcours semé d’obstacles.
Dimanche matin devant la bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris, elle arrive le pas serein, le sac à la main, un sourire discret aux lèvres mettant en évidence son côté réservé. Fatima a 25 ans, elle est née à Mostaganem en Algérie, et y a grandi jusqu’à l’âge de 20 ans. « J’étais très sérieuse, timide, calme et je travaillais beaucoup. J’étais un peu la fille dans son coin quoi ! » me déclare-t-elle en accompagnant ces propos d’un petit rire. Elle y obtient son bac scientifique en Algérie à l’âge de 19 ans avec 15,6 de moyenne :
« A la base ça ne me disait rien d’exceptionnel d’aller en France. Je ne manquais de rien chez moi, j’étais la fille à papa et maman ». Suite à l’obtention de son bac, elle fait un an de médecine à la fac d’Oran. Puis, son frère aîné qui réside depuis quelques années déjà en France lui parle des démarches à suivre et la motive à venir s’installer chez lui afin de poursuivre ses études à Paris. Elle décide alors de s’inscrire et en juillet 2011. Elle est acceptée à l’université de médecine Paris VII Diderot.
La première rupture est d’ordre affectif. Elle est très émotive lorsqu’elle raconte la séparation avec sa famille et son départ pour la France : « Je me suis arrêtée avant de monter dans l’avion, j’ai tourné la tête, j’ai senti que mes parents me regardaient même si je ne pouvais pas les voir, je leur ai fait un signe de la main … »
Une entame difficile et sans répit
Pas facile de s’y retrouver au début, au moment de se confronter aux réalités administratives. Titre de séjour, titre de transport, CMU … Une semaine après sa venue, elle doit se rendre à la préfecture pour faire une demande de titre de séjour étudiant « j’étais perdue, je ne savais pas par quoi commencer. Ils m’ont dit « faut venir à 3h du matin pour faire la queue ! » »
S’ajoute à cela sa rencontre avec le problème des transports. Elle s’y perd au début « À Paris il y a un million de transports ! » me dit-elle en rigolant. De chez elle, Fatima met une heure pour arriver à l’université en prenant un bus et un RER. Ce qui peut passer banal pour un usager des transports en commun parisiens ne l’est pas du tout pour elle, au contraire : « Au bled, une heure, c’est le temps de trajet que je mettais pour me déplacer d’une ville à une autre, de Mostaganem à Oran » regrette-t-elle.
« Ce n’est pas la vie que je voulais »
Deux mois après sa venue, elle rencontre des problèmes à la maison et particulièrement avec sa belle-sœur. Elle ne se sent pas à l’aise et ne peut pas travailler correctement. Fatima traverse alors une période difficile, se renferme sur elle-même et prend la décision de retourner en Algérie : « Après deux mois, j’ai vite compris qu’il me fallait ma famille et les moyens financiers. Sinon pas de première année de médecine ». Elle échoue à son concours de médecine durant cette année. Pourtant, finalement, sous la pression amicale de sa famille, elle décide de rester en France et de continuer l’aventure.
Mais l’absence de sa famille et le sentiment de solitude lui pèsent terriblement. « Je n’avais personne à qui me confier, il m’arrivait d’aller aux Champs-Élysées et de marcher toute seule. Je cherchais dans le répertoire de mon téléphone quelqu’un que je pourrais appeler et à qui je pourrais parler ». Ses yeux scintillent à ce moment et je remarque qu’elle retient ses larmes.
La jeune étudiante souligne aussi l’importance de ses problèmes financiers dans sa difficile intégration sociale : « La première année, j’ai dû payer ma carte Navigo, toutes zones inclues, 600 euros l’année plus mon année universitaire 500 euros, je n’avais pas d’argent de poche pour moi. Je me suis mis à chercher un job étudiant, j’ai posé des CV. Je n’avais pas de retours … ». Du coup, pas facile de sortir et de rencontrer du monde sans ce peu d’argent pourtant nécessaire.
L’expérience de différences culturelles inattendues
Plus étonnant, la jeune Algérienne ressent aussi un décalage culturel au niveau de la langue française : « En Algérie, je comprenais le français et je le parlais assez bien aussi. D’ailleurs à la fac d’Oran la plupart des cours étaient en français. Mais quand je suis arrivée ici, j’ai eu l’impression d’avoir découvert un « nouveau français » que je ne connaissais pas : « Genre, tu sais le mec, la meuf, ils kiffent grave » Ça, je ne l’avais jamais entendu … » m’avoue-t-elle en se mettant de nouveau à rire.
Ce qu’elle observe en dehors de l’université, c’est un environnement imprégné d’individualisme et de « chacun pour soi » comme elle le décrit indirectement en comparant avec son pays d’origine : « Au bled, ce n’est pas comme ici, tout le monde se connaît, et même si on ne se connaît pas, tout le monde se salue. »
Les secrets d’une réussite pleine de mérite
Suite à son échec en fac de médecine, Fatima voit peu à peu son rêve de devenir un jour médecin s’envoler. Mais elle ne renonce pas. La jeune étudiante au mental d’acier prend rendez-vous avec le responsable de licence MPI (Maths Physique Informatique) de l’université Paris Sud du campus d’Orsay : « Il a regardé mon relevé de notes du bac et il m’a accepté sur-le-champ. J’étais choquée ! Je lui ai dit, “vous êtes sûr ?!” » s’exclame-t-elle sur un ton joyeux.
C’est alors un nouveau départ pour la jeune Algérienne qui validera aisément sa Licence et son Master 1 et qui arrive aujourd’hui au terme de son parcours en Master 2. Après ces six années en France, elle ressent nettement un gain en termes d’expérience et de maturité « Désormais, je me sens prête à aller vivre dans n’importe quel pays, j’ai tellement changé. Je n’intériorise plus, je dis ce que je pense. Aujourd’hui quand quelque chose ne me plaît pas, je le dis. D’ailleurs, je suis déléguée représentante de mon master et je n’hésite pas à parler en mon nom ou au nom du groupe. »
A ses yeux, rien de tout cela n’aurait été possible sans l’aide et le soutien de ses parents, tout au long de ces six années passées pourtant loin d’eux : « Aujourd’hui, je peux dire que je suis vraiment fière de moi, mais je le dois aussi et surtout à mes parents qui ont toujours été derrière moi. J’aimerais les remercier et leur faire un cadeau dès que je commencerai à travailler. »