Je découvre Nuit Debout à Paris

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Tout comme la loi El Khomri, le concept de Nuit Debout me paraissait très abstrait. J’avais seulement réussi à comprendre que c’est un mouvement contestataire, rebelle, né d’une manifestation contre une loi que tout le monde ou presque trouvait abjecte.

Suite à une rencontre avec des journalistes des Jours, qui ont couvert les manifestations contre la loi El Khomri ainsi que Nuit Debout, je me suis rendu compte que j’ignore tout d’un phénomène qui semble être hors du commun. Cette ignorance venait peut-être de la distance qui me sépare de l’événement ou de mon manque de curiosité.

Pour remédier à cela, j’ai donc décidé de me rendre Place de la République à Paris avec un ami qui, tout comme moi, sentait le besoin d’aller examiner la chose de plus près afin de se faire sa propre opinion et, avant cela, afin de comprendre ce que c’est réellement.

Le 22 avril 2016, après 1h30 passés dans les transports, nous arrivons enfin à 19 heures Place de la République, où je me rendais pour la première fois.

La première chose qu’on remarque c’est la présence massive de la police, ensuite les banderoles et les tags, et enfin une foule dont le nombre s’accroît progressivement fur et à mesure que la soirée avance.

En m’approchant plus près de la statue de la République, pour vérifier si la rumeur selon laquelle Nuit Debout serait une rébellion de « bobos » est justifiée, je me rendis compte que, finalement, cette rumeur n’est pas si fausse que ça.

En essayant de saisir le mode d’organisation de Nuit Debout, on découvre, en visitant la place, différentes commissions : féministe, culture, débat, radio, etc. Dans chaque commission une personne prend la parole et les autres écoutent attentivement. Nous ne nous sommes pas attardés sur les commissions, préférant nous joindre à la foule assise par terre. Je découvre que cette foule constitue « l’assemblée générale » où tout le monde peut s’exprimer, écouter des textes devants être « votés », ou écouter les remontrances de certains.

Ce jour-là deux questions majeures étaient débattus à l’assemblée générale : quel sera l’avenir de Nuit Debout ? Et faut-il se joindre aux manifestants du 28 avril et du 1er mai ?

Pour ce qui est de la première question, ce qui ressort du débat c’est que le mouvement doit perdurer quel que soit la forme qu’il prendra. Pour ce qui est de la deuxième, la foule, grâce à un geste d’approbation (avec les mains) semblait vouloir s’associer aux syndicalistes. N’étant pas très informée sur le sujet et vu que personne n’avait précisé de quels syndicats ils parlaient, je n’ai pas tout compris sur le sujet.

Cette organisation fut pour moi un véritable coup de cœur. Pour la première fois de ma vie j’ai pu vivre la démocratie directe. Pour la première fois la théorie politique se transforme en pratique. J’ai pu sentir pour la première fois la puissance d’une volonté populaire émaner de ces deux cents personnes décidant ensemble, débattant ensemble et n’acceptant de se soumettre à personne d’autre qu’eux-mêmes. Ces personnes formaient ainsi un seul corps agissant, réfléchissant et s’exprimant sans aucune hiérarchie. Je sentais, assise parmi toutes ces personnes, qu’il se prépare quelque chose qui va peut-être marquer notre histoire. J’éprouve beaucoup d’admiration pour ces personnes qui ont créé une véritable démocratie directe et qui, avec un idéalisme complètement surréaliste, espèrent étendre un jour cette démocratie directe de la plus petite à la plus grande circonscription du pays.

Cependant, bien que ce mouvement soit très prometteur, il n’est pas encore légitime à mes yeux. En effet, il n’est pas mené par toutes les composantes de la population. Par exemple, il y avait très peu d’arabes et de noirs présents. Le fait que ces minorités habitent principalement dans des quartiers populaires pose le problème de la distance qui sépare Nuit Debout de la banlieue. Cette absence est peut-être aussi due à la très faible politisation des jeunes dans les quartiers populaires. Autre exemple, dans la commission des féministes il n’y avait aucune femme voilée. Il y a donc encore une autre catégorie, cette fois-ci de femmes, absente dans ces débats. Et cette absence me pose problème compte tenu des dérapages de notre personnel politique ces dernières semaines au sujet du voile. Beaucoup d’autres exemples peuvent être cités, mais l’idée est que, pour une fois, il faudrait que tout le monde participe à ce mouvement pour qu’il soit réellement et à 100% démocratique, et que, pour une fois, on ne décide pas et on ne parle pas à la place de tel ou tel citoyen absent.

Au final, je trouve donc dommage que la distance empêche les habitants des quartiers populaires d’être plus souvent présents car eux aussi ont soif de changement. Mon ami Sébastien quant à lui, pense que l’endroit est symbolique et que c’est au cœur de Paris que la contestation doit se faire pour qu’elle puisse avoir plus de légitimité. A mes yeux, le problème n’est pas tant que ça se passe à Paris mais plutôt que ça soit une révolte de Parisiens.

Pour étendre géographiquement ce mouvement, certains ont décidé de mettre en place des Nuit Debout, copiés sur le modèle de celui de la Place de la République, dans certaines villes de banlieue comme Saint-Quentin en Yvelines, Mantes-la-Jolie, et d’autres encore. Malheureusement, le nombre de personnes qui y participent n’est aujourd’hui pas très important. Par conséquent, ces mouvements n’ont pas encore pu mobiliser et favoriser la politisation des citoyens de ces villes. Mais si ces tentatives se soldent par un échec, c’est tant mieux ! Car encore une fois l’idée est que nous nous regroupions pour discuter entre nous (citoyens de quartiers populaires, citoyens de seconde zone), ce qui nous laisserait à l’écart de ce qui se passe à Paris. Or, pour se faire comprendre et se faire entendre, c’est à République qu’il faut être. En effet, ce mouvement, bien que très parisien à mon goût, représente néanmoins une chance pour toute personne lassée et déçue par la manière dont est gouverné notre pays depuis des années. La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir comment inciter les jeunes de tous les milieux sociaux à s’associer, ensemble, pour s’engager dans ce rapport de force avec certaines de nos institutions. Car quel que soit le résultat de ce jeu démocratique, le plus important est d’y participer ensemble.

Dikra Saadi

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Infos de l'auteur

J'ai 18 ans, en première année de licence de droit à l'université de Saint-Quentin. Citoyenne révoltée , pour moi Trappy blog est non seulement un moyen de partager mes expériences et de m'ouvrir à de nouvelles choses, mais aussi l'opportunité de montrer que Trappes ne se résume pas à l'image négative que certains médias véhiculent.