Kamel a 56 ans. Marié et père de famille, il est né en Algérie, d’où il a émigré vers la France, fuyant le chômage et l’insécurité. Il travaille aujourd’hui dans une mission locale d’Ile-de-France. Retour sur son parcours.
C’est un samedi après-midi, chez lui, autour d’un café, que Kamel accepte de partager son histoire. Cet affable père de famille Algérien réside en France depuis vingt ans maintenant. Les bras croisés, il raconte son départ : « À l’époque, en 1995, quand j’étais encore en Algérie, j’étais marié, j’avais deux enfants. J’avais le choix entre la misère et le terrorisme, ou tenter le tout pour le tout pour venir en France ». En plein milieu de la décennie noire que traverse alors le pays, Tlemcen, capitale de l’art andalou située dans le nord-ouest de l’Algérie, où il est né et où il a grandi, connaît un climat de terreur et d’insécurité du fait de la guerre civile, qui fera en tout 500 000 morts en Algérie. L’Algérie subit alors en parallèle le déclenchement d’une crise économique, de nombreux Algériens craignant évitent les trop longs et dangereux déplacements marchands et commerciaux. Dans cette atmosphère de guerre, nombreux sont par ailleurs les commerçants qui voient leurs magasins et leurs biens pillés.
Avant cette guerre, Kamel était chef d’une entreprise spécialisée dans le bâtiment. Seulement, les chantiers étant souvent isolés en dehors de la ville, là où la présence terroriste est la plus grande, il décide de mettre fin à son activité « On entendait souvent des coups de feu le soir. Il n’y avait d’ailleurs pas besoin de sortir de la ville. Un jour par exemple, à 200 mètres de chez moi, en plein centre-ville, on a entendu une très forte explosion dans un hôtel ». Kamel se retrouve alors du jour au lendemain sans travail avec une famille à nourrir. Il en vient à s’endetter. « De 1995 à 1997, on survit, je n’ai pas de travail, je suis obligé d’emprunter de l’argent ». Il prend alors la décision de vendre son entreprise, ainsi que le terrain qu’il possédait, puis il fait une demande de visa Schengen auprès des autorités espagnoles « À l’époque, c’était plus simple d’obtenir un visa espagnol qu’un visa français », dit-il le regard dans le vague.
Kamel obtient son visa mais sa femme et ses deux enfants essuient un refus : « Je suis arrivé seul, à 36 ans, en 1997, dans le nord de la France chez un ami. Je suis resté 15 jours chez lui. Ensuite, ma femme m’a suggéré d’aller chez son oncle qui habitait à Calais depuis 1950 ». Janvier 1998, il ne perd pas de temps et commence à envoyer des demandes de visa pour sa famille. « Un jour, l’oncle de ma femme me dit : « Vite viens voir ! » Et là, il me dit qu’elle a obtenu le visa ! » s’esclaffe-t-il tout sourire.
Le mois suivant sa femme et ses enfants le rejoignent. Puis ils font une demande d’asile territoriale à la préfecture, de manière à pouvoir rester en France plus longtemps. La responsable du service étrangers leur annonce qu’ils doivent se rendre en Espagne avec leur visa pour demander l’asile. Kamel se souvient : « Je lui dis : “Excusez-moi madame, je me suis renseigné sur les lois françaises et cette loi de l’asile en particulier. Cette loi a été votée en France par Chevènement à l’origine pour les Algériens” » m’affirme-t-il les yeux grands ouverts, haussant le ton un peu plus que la normale. Impossible pour eux de repartir en famille en Espagne.
Après une courte période passée chez l’oncle maternel de Calais, la famille tlemcénienne a alors recourt au réseau des associations locales, et notamment l’association « Maison pour tous » qui les a pris en charge et les a logés. A ce moment, aucun d’entre eux n’était encore régularisés. L’association a alors entamé les démarches auprès de l’assistante sociale. Soutenu par ces aides et ce réconfort moral, Kamel parvient à obtenir un premier emploi et fait une demande de logement. « La dame de l’association nous a vraiment aidés, elle s’appelait Bernadette. Elle nous a pris en charge pour tout, logement, aides financières, aides aux soins… On l’oubliera jamais, elle et tous les membres de son association. » regrette-il d’un air nostalgique, triste de ne plus avoir aucune nouvelle des membres de l’association.
- Sa femme intervient soudainement : « Et Véronique ! Tu l’as oubliée ? »
- « Oui, mais Véronique ce n’est pas autant que Bernadette… »
- « Ah si, quand même ! Et toutes les fournitures qu’elle nous apportait, tu as oublié ? »
Finalement, à la préfecture, la personne chargée du dossier de demande d’asile s’est rendu compte de son erreur. « Je vous avais pris pour un demandeur d’asile » lui dit-elle. Mais Kamel souhaite sécuriser sa présence en France où sa femmes, ses enfants et lui-même construisent leur nouvelle vie. Kamel sait que les démarches administratives sont plus faciles pour les Algériens nés Français avant l’indépendance de l’Algérie, et qui ont eu un enfant en France : « Comme je suis né Français en Algérie avant l’indépendance, j’ai dit à ma femme : « Si on veut mettre toutes les chances de notre coté, il faut qu’on fasse un enfant en France ». À l’époque, il y avait encore la loi concernant le droit du sol, et on a eu cet enfant en 1999 » ». Quand Kamel retrouve la nationalité française, il obtient alors assez rapidement un emploi au sein d’une scierie dans le Pas-de-Calais. Il y travaillera un an. « Grâce à l’association de Bernadette, j’ai trouvé ce travail, un CDD. C’était difficile, il fallait porter des charges lourdes et manipuler des scies tronçonneuses. J’ai eu une sciatique à cause des charges lourdes. Au terme de mon contrat, j’ai arrêté et j’ai pris la décision de changer de travail ».
A partir de 2000, en raison de leur bonne maîtrise de la langue arabe littéraire, Kamel et sa femme parviennent à travailler à temps partiel en tant qu’interprètes à la police des frontières de Calais. Ils y travailleront jusqu’en 2004. En 2001 on lui propose un autre emploi au sein de la Croix-Rouge française. « Après une semaine d’essai a la Croix-Rouge, comme le directeur a vu lui aussi que je parlais bien l’arabe littéraire, j’ai été retenu » se souvient-il, fier de lui. Il s’épanouit dans ce métier bien plus qu’à la scierie. Il est employé dans le médiatique centre de Sangatte qui accueille alors plus de deux mille réfugiés de toutes nationalités et religions confondues. Ce centre propose l’accueil et le soin des réfugiés, les régularisations administratives de certains, le reclassement pour d’autres. Kamel ne chôme pas. Il travaille à Sangatte six jours de suite, et puis il a quatre jours de repos, pendant lesquels il travaille de temps à temps à la police des frontières. Mais en 2002 Nicolas Sarkozy décide de fermer le centre et promet un reclassement pour les 110 ou 120 salariés licenciés. Le 16 décembre, le centre ferme définitivement et Kamel perd son emploi.
« Après la fermeture du centre de Sangatte, de la fin 2002 jusqu’à septembre 2003, le directeur a choisi trois équipes de trois pour faire du Samu social de manière bénévole. Sans hésiter on a dit oui. On a constitué des équipes qui tournaient matin et soir dans tout Calais. A cette époque-là je touchais le chômage, mais je ne voulais pas me tourner les pouces chez moi ». Aout 2003, leur chef est nommé directeur de la croix rouge au centre de zone d’attente de Roissy, bien loin de Calais, en région parisienne. Il annonce à ses salariés qu’une dizaine seulement a été retenue parmi les 120 travaillant à Sangatte pour l’accompagner à Roissy. « Il a choisi les meilleurs et les plus compétents selon lui, et je figurais parmi ceux-là ». Eté 2003, direction Paris pour un nouvel emploi. Une nouvelle fois seul, sans sa famille restée à Calais.
La suite de ce portrait sera publiée dans les prochains jours