En 2009 Dahmen arrivait en France avec plein d’espoirs nourris par ses compatriotes algériens qui avaient pris le chemin de l’exil. Mais la réalité est tout autre et les illusions se sont envolées.
Assis, Dahmen observe autour de lui, souriant, les coudes sur la table ; il attend avant de prendre la parole. Il ne fait pas son âge, comme s’il avait arrêté de vieillir il y a 10 ans, mais il a le verbe sûr et n’a pas besoin d’être relancé pour raconter son histoire. Né à Mostaganem, ville côtière de l’ouest algérien, il y a 36 ans, Dahmen réside en France depuis 9 ans. Très sociable et serviable, il a gardé en lui cette logique de partage et de solidarité acquise durant ses années passées en Algérie. « A l’époque je n’avais pas de travail stable en Algérie c’était la crise et, comme tous les jeunes, je voulais venir en France parce que les jeunes émigrés, quand on les voyait au bled, ils donnaient l’impression de vivre la belle vie en France. »
Avant d’arriver en France, Dahmen était propriétaire d’un taxiphone, qui avec le temps ne lui rapportait que très peu. Il s’est alors lancé dans le commerce, une quincaillerie, espérant bénéficier d’un meilleur gagne-pain, mais en vain. Ayant le sentiment d’être nargué par d’autres jeunes de son âge qui ont émigrés, il décide de tenter sa chance et quitte le pays. « Je suis arrivé en France à l’âge de 27 ans, au mois d’août 2009. » Il obtient rapidement un premier titre de séjour l’autorisant à travailler : « Je me suis marié avec une franco-algérienne et elle a fait les démarches pour moi. J’ai donc trouvé un travail en octobre 2009 et j’ai pu obtenir mon titre de séjour de dix ans. »
A son arrivée en France, il vit une année chez ses cousins en Île-de-France. Même s’il manque encore de stabilité durant cette période, il prend plaisir à sortir et visiter la capitale et parvient même à faire des économies. « La première année je me sentais bien, je ne regrettais pas mon choix d’être venu. Avec les cousins on sortait souvent. Bon la seule galère c’était que ma femme habitait encore chez ses parents au Mans et du coup je devais faire des allers-retours … »
Durant la première année, le jeune marié travaille dur au sein d’une société spécialisée dans les panneaux solaires et parvient finalement à trouver un logement. « J’ai obtenu un studio à Montrouge et dès que j’ai emménagé avec ma femme, c’est là que les problèmes ont commencé. » Il aura un enfant avec cette femme. Pourtant, l’idylle est de courte durée et Dahmen se trouve confronté à une réalité différente de ce qu’il attendait. « A Montrouge je payais environ 700 euros de loyer, j’allais travailler, je faisais les courses et ma femme se plaignait tout le temps. Elle ne voulait pas travailler et tous les mois elle me demandait de l’emmener voir ses parents au Mans, alors je faisais le trajet. Je n’arrivais plus à mettre de côté », déplore-t-il.
Lorsqu’il quitte son pays, le jeune algérien arrive en France avec des ambitions. Il propose à sa femme de réaliser un projet sur le long terme : « Je lui ai dit : “on travaille tous les deux on met de coté et quand on aura les moyens on achètera un pavillon ensemble”. » Deux ans après, la société dans laquelle il travaille ferme et Dahmen se retrouve au chômage. « Juste avant qu’elle ferme j’étais en accident de travail, je suis tombé sur le chantier et j’ai eu l’épaule déboîtée. » Après deux ans de vie commune, Dahmen est à bout, il décide de divorcer.
Deux mois avant la fin de son indemnité chômage, il retrouve un emploi en passant par l’intérim. Il y travaille durant de mai 2012 à mai 2013 et signe un CDI au moins de juin 2013. Supportant difficilement le loyer et les charges, il effectue une première demande de logement. « J’ai obtenu un logement à Châtillon (92) en octobre 2014, c’était un peu moins cher mais ça restait loin de mon lieu de travail sachant que je travaillais à Orly. »
Dahmen persiste et dépose une autre demande en mars 2015 pour Athis-Mons (91). La ville ne lui est pas inconnue, il y a de la famille et des amis. Y habiter le rapprocherait considérablement de son lieu de travail. « J’ai obtenu une proposition pour visiter vers novembre 2015 et on m’a accordé le logement en janvier 2016. » Pour autant il ne peut s’empêcher d’exprimer un certain regret voire quelques remords : « J’espérais avoir la belle vie, voyager, mettre de l’argent de côté, mais en vérité tout est cher ici. Surtout avec un seul salaire, faut se serrer la ceinture. Je suis déçu du mode de vie en France. Sincèrement si je trouve un travail au bled qui peut me rapporter 300 euros par mois, je rentre. »
Il éprouve aussi parfois de l’incompréhension face à certaines situations. « J’ai l’impression qu’en France les gens qui ne travaillent pas vivent mieux. Je connais quelqu’un qui perçoit le RSA, il ne paie que 80 euros de loyer, a la carte Navigo gratuite. Il m’a dit “pourquoi tu veux que je travaille ?”. Et moi qui travaille sérieusement, je paie tout, mes impôts, mon loyer, les charges, la taxe d’habitation, la pension pour mon fils… je galère. Je comprends pourquoi beaucoup profitent du système ». Mais il remarque qu’il est loin d’être le seul à connaitre des fins de mois difficiles. « Dans la société au sein de laquelle je travaille, beaucoup de collègues prennent chaque mois des acomptes de 500, 800 voire 1000 euros pour finir le mois. »
Dahmen travaille 7h30 par jour dans les chambres froides. Il est chargé de contrôler les plateaux repas destinés aux voyageurs. Les conditions de travail parfois difficiles contribuent à rendre les journées de travail plus longues. Le plus démoralisant pour lui reste de finir le mois sans pouvoir mettre un euro de côté. « Je ne connais pas trop la situation des gens en dehors d’Ile-de-France : peut être qu’elle est meilleure, mais ici en tout cas en région parisienne c’est une sorte de prison “libre”, métro-boulot-dodo. Tu consacres ta vie au travail et c’est uniquement pour payer ton loyer et manger, pas plus. »
Abdelhamid Chalabi