Makan a passé quelques jours à Cowgate North, un quartier populaire de Newcastle, dans le nord-est de l’Angleterre. Une zone pavillonnaire, avec quelques tours éloignées les unes des autres, qui l’a plongé dans l’univers d’une cité, qui ne ressemble pas aux banlieues françaises.
Je prends un bus rouge à deux étages, le bus X87 à la Newcastle Central Station. Wallahi, j’comprends rien à l’anglais du chauffeur, il parle vite et l’accent n’est pas le même que celui de l’anglais du lycée. Un ch’ti anglais ? J’ai le sentiment d’être sourd et muet alors je suis plus attentif aux expressions du visage, surtout celles qui me rappellent que mon anglais est rudimentaire, un franglais du quartier ? À force de répétition mécanique et sans grande conviction de la part du chauffeur, je réussis à comprendre que le ticket de bus est à deux livres dix. Treize minutes plus tard, j’arrive à destination, l’arrêt Ponteland road.
En faisant le tour du quartier des personnages, des attitudes, des images me rappellent tout de même ma vie de banlieusard. J’observe les Novocastriens (les habitants de Newcastle) mais eux aussi m’observent. Est-ce mon survêtement Nike bleu marine qui attire l’attention ou ma barbe teinte en marron ? « Tu ressembles au mec de quartiers de France » me dit mon amie Alice. « Comment tu le sais ?» je lui demande ? « Parce que Facebook » me répond t‑elle. Je ne sais pas si je dois le prendre bien ou mal…
Dans l’après-midi des jeunes de Cowgate installent des cages de football amovibles et se lancent dans un match. L’équipe de Newcastle United joue en première league, le stade Saint Jame’s Park est en plein centre-ville, autour de plein de commerces et pas loin de la grande université de Newcastle ce qui donne l’impression que tout ce petit beau monde, fait partie de l’équipe peu importe le statut social.
Dans une petite forêt entre les tours, un groupe d’Anglais se cachent dans la verdure pour fumer. Ca smoke d’la weed. Comme il fait chaud, d’autres traversent le quartier torse nu « il y a rien » [expression qui signifie sans problème], comme dans les centres de vacances ou à la plage, sauf qu’ici il n’y a que du béton. Dans mon quartier je ne peux pas sortir torse nu, la pression sociale fait que je dois rester « pudique ».
Les bruits de motocross, minicross et d’un quad brise le faux calme comme c’est le cas dans la plupart des quartiers de France durant les beaux jours. Il ne manquerait plus que la chicha et le scénario du film serait complet.
Une petite adolescente aux cheveux blonds et une queue-de-cheval, habillée d’une peau de pêche rose, à moins que ça ne soit un pyjama, en pleine journée, crache un gros mollard avant de repartir, normal encore une fois « il y a rien ». Ce n’est pas la seule à se promener dans le quartier, ou à aller dans le magasin Aldi en pyjama rose.
Le style vestimentaire est plutôt décontracté, pantacourt, pantalon, jean, basket, casquette pour certains, quelques tatouages maillot de foot, pour être plus précis uniquement le maillot de Newcastle. Pas comme à Paris où certains marchent avec le maillot de Marseille ou avec le maillot de Paris à Marseille. Alors que dans mon quartier le street-wear, les vêtements du Real ou du Barça, les dégradés et les teintures prennent le dessus esthétiquement. J’ai l’impression que la proportion des boules à zéro avec et sans calvitie est quand même plus importante à Newcastle qu’en région parisienne.
L’urbanisme ne définit pas le quartier
Tous les quartiers ne sont pas des grands ensembles. Je le découvre lors de mon voyage chez les Magpies [surnom des joueurs de Newcastle]. En y repensant, je me remémore certains clips de rap américain tournés dans des banlieues pauvres, des zones pavillonnaires, comme dans le clip « Heat » de 50 cent. En traversant le quartier de Cowgate North, je n’ai pas l’impression de vivre dans une banlieue à la française mais bien dans un quartier populaire. “Cette cité” est composée de petites maisons identiques à briques rouges, mitoyennes, collées les unes aux autres. Une image qui me rappelle un peu les quartiers populaires du Nord de la France comme à Lille. Elles ont chacune leur petit jardinet et à l’avant une cour avec parfois garés des BMW qui contrastent avec le nombre exorbitant de taxis bleus ou gris et les fameux « black Cab » (taxi traditionnel noir). « C’est parce que les Anglais aiment trop boire et faire la fête qu’il y a beaucoup de taxis » me glisse mon amie. Les seuls taxis qui rentrent dans ma cité au Bois de l’étang, ceux sont les chauffeurs de taxi et les chauffeurs Uber qui partent ou reviennent du travail.
Au loin, j’aperçois trois grandes tours blanches et rouges, d’une dizaine d’étages, au design industriel c’est-à-dire de multiples fenêtres carrées de mêmes formes aux couleurs ternes comme les cités dortoirs ou les foyers Sonacotra à l’ancienne comme si on avait voulu se dépêcher de créer des logements. Elles sont éloignées les unes des autres d’environ un kilomètre de sorte que le design des grands ensembles français rassemblés se dissipe ici, dans l’espace vide, qui procure moins le sentiment de vivre dans une banlieue. En fait, chaque bâtiment est séparé par une petite forêt ou des champs toujours verts. Le soir, des vaches viennent brouter l’herbe grasse. En bas des tours, pas de grand parking de cinquantaine de places, mais encore des maisons typiques anglaises rouges, dans un design beaucoup plus moderne, on le voit à travers les matières utilisées et l’architecture plus travaillée aux formes plus innovantes.
Les rues sont plus vides que pleines, plus silencieuses que bruyantes. Moi et Alice sommes dans le jardin. Elle est obnubilée par la peur de faire du bruit et déranger les voisins qui risquent d’alerter la police. Cowgate n’est pas mort pour autant même si c’est paisible. Encore un point qui contraste avec l’ambiance plus vivante de mon quartier où le respect des voisins est un peu moins respecté surtout à la tombée de la nuit quand certaines voix se réveillent.
Un jour, j’aperçois au loin un homme descendre de son vélo et courir à toute vitesse à droite dans une rue, suivis de près par la police. Le bruit du gyrophare est plus aigu que celui de la police française, moins masculin. La marque de la voiture ? BMW. C’est beaucoup plus impressionnant que les Peugeot du film Taxi. Chance ou malchance, la course-poursuite se trouve être sur mon chemin. La police tient le fuyard par le bras, il n’oppose plus aucune résistance, ils ont l’air de discuter et d’attendre quelque chose. Je pensais que le fuyard était un homme et en fait c’est un adolescent frêle, quatorze ans, pas beaucoup plus, peut être un Anglais. La scène est presque amusante, ce n’est pas le profil du grand criminel que j’avais imaginé.
D’ailleurs, sur channel 5, après Peppa pig je suis tombé sur une émission qui filme la police dans son quotidien et en action : Police Interceptors. Le plus étonnant dans cette émission c’est que c’est souvent des Anglais qui se font arrêter. Alors qu’en France dans ce type d’émission c’est plutôt des étrangers ou des jeunes issus des quartiers qui se font prendre. D’après ce que je comprends de l’émission, ce ne sont pas de grands délits. Conduite en état d’ivresse, détention de drogue en petite quantité, délit de fuite, etc… Mais tout de même, ça laisse une vision du pays tout à fait différente de voir que les « méchants » ne sont pas toujours les mêmes. Même à la télévision le traitement médiatique des banlieues semble en décalage avec celui de la France.
Makan Fofana