A l’occasion des vacances, Clara a posé quelques questions à sa grand-mère qui a vécu la plupart de sa vie dans les quartiers populaires, dont 30 ans à Trappes.
Devant une telenovela, assise sur son canapé, cuillère remuant sa soupe, Françoise Pinto de mariage, Ruiz de son nom de jeune fille, âgée de 67 ans, raconte le scénario de la telenovela qu’elle est en train de regarder sur France Ô. Née le 3 novembre 1951, d’un père d’origine espagnole et d’une mère normande, elle se souvient : « à Darnétal [en Seine-Maritime]avec mes frères et mes parents, on habitait dans un HLM dans le quartier du Madrillet, à Saint-Étienne-du-Rouvray, à côté de Rouen ». Son père « était marin. Et quand il était à la maison, c’était le paradis, il nous emmenait à l’école, il jouait avec nous et le soir, il nous chantait des chansons en espagnol pour nous endormir ». Son père, né à Oran, en Algérie, vient d’une famille espagnole ayant fui la guerre d’Espagne. Il s’est installé en France pour des raisons professionnelles.
Quant à sa mère, elle « était à la maison pour nous élever. Elle faisait le ménage quand nous étions à l’école et lorsque l’on rentrait de l’école, elle nous faisait des gâteaux, du riz au lait, plein de bonnes choses ». Avec une forme de nostalgie, elle sourit : « Quand je pense à ces moments-là, je me dis que la vie était beaucoup plus belle avant que maintenant avec toutes ces consoles. On avait la télé que le jeudi et dimanche, pas toute la journée, mais les jours passaient tout seuls avec les jeux et les bêtises ». N’ayant pas obtenu son Certificat d’ Études, elle se voit obligée de travailler à 13 ans et demi comme manutentionnaire dans une usine de vêtement à Rouen.
Les yeux toujours rivés sur sa série espagnole, elle balaye sa jeunesse mais revient sur 1971 et sa rencontre avec Régis lors d’un bal à Rouen. Le 23 mars 1974, ils se marient et l’année suivante, elle met au monde sa première fille, Magalie. Deux années après, le couple se sépare, direction Brive-la-Gallarde (19), où elle rejoint ses parents « qui avaient quitté Rouen parce que le cadre de Brive était plus reposant ».
« Les parents se sont un peu déchargés sur les autres »
C’est à Brive que « le 21 septembre en 1978 à 2 h 00, en boite avec des collègues de travail, j’ai eu le coup de foudre pour José Pinto ». Pudique et gênée, elle raconte cette histoire d’amour et le départ de Brive pour Trappes (78). « On est venus à Trappes parce que la boîte où travaillait José avait fermé et il n’avait pas de travail et on avait une connaissance qui habitait à Élancourt. » La petite famille s’installe « en décembre 1980 au square Jules Védrine ». José trouve du travail dans la maçonnerie et le carrelage et Françoise, chez Hachette à Maurepas, comme préparatrice de commande.
Une énième pub la coupant dans sa série, elle en profite pour raconter qu’en 1980, Trappes n’avait pas mauvaise réputation. « Nous, on ne connaissait pas Trappes donc on ne connaissait pas les préjugés. En tout cas à l’époque, c’était calme ». Et puis, « dans les années 80, Trappes, c’était bien, il y avait tout : une crèmerie, une poissonnerie, un magasin pour bébés, un magasin de chaussures et plein d’autres commerces ». Cette description du Trappes qu’elle a connu à son arrivée crée chez elle un sentiment d’incompréhension face à la disparition de tous ces magasins. Selon Françoise, Trappes a commencé à changer quand la population s’est agrandie : « Les parents se sont un peu déchargés sur les autres ».
En 1981, soit l’année suivant leur arrivée à Trappes, José obtient le poste de gardien de la piscine Léo Lagrange, ce qui lui permet de bénéficier d’une maison de fonction. En 1983, elle se marie avec José et quelques mois après, le 8 septembre 1983, elle met au monde leur fils, Manu. « Pour mes enfants, l’école s’est plutôt bien passée. Ils avaient quelques difficultés, comme tous les autres enfants ». Son fils a pratiqué le foot et le tennis à Trappes pendant 11 ans, alors que sa fille était plutôt portée sur la natation : « Elle était très forte, elle a gagné les 24 heures de natation et d’autres prix d’endurance », annonce fièrement Françoise. Entre temps Françoise change de travail, elle est désormais dans les cuisines des écoles primaires et maternelles.
En janvier 2011, son mari « décède d’une crise cardiaque ». Elle décide, un an plus tard, de quitter Trappes pour retourner à Brive et profiter de sa retraite, après plus de 30 années passées dans les Yvelines. « Ça m’a fait bizarre de passer d’un quartier populaire à une résidence, je n’étais pas habituée et je n’étais pas à l’aise. » Ressentant la solitude comme de nombreuses personnes seules à la retraite, et son fils ayant eu deux garçons, elle décide de le rejoindre à Bordeaux où il est installé depuis 2005. Elle demande et obtient un appartement dans une cité HLM de Bordeaux, quartier des Aubiers en 2014. « Dans ce quartier, je me sens très bien, il y a tout à côté ». Elle apprécie de ne pas avoir besoin de sa voiture,d’ être à proximité des lignes de bus et de tramways, « d’Auchan, du centre commercial Bordeaux lac », de plusieurs boulangeries, de plusieurs magasins alimentaires. « Les gens sont plus sympathiques dans les quartiers populaires. Je me sens à ma place avec eux », explique-t-elle.
C’est désormais de Bordeaux qu’elle a des nouvelles de Trappes et via les médias l’image n’est pas des meilleure… « Je n’ai pas peur pour ma fille et ses enfants qui sont toujours à Trappes parce que Trappes c’est vivable. À Trappes, c’est comme dans toutes les villes, il y a du pour et du contre. Le respect, par exemple, il y en a de moins en moins. Mais c’est le cas dans plein d’autres villes ».
Clara Roy