Le collectif « Prenez Ce Couteau » met des couleurs dans le monde monochrome de l’art

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Elena, Corinne, Elodie et Majda, fondatrices du collectif féministe, non-mixte et anti-raciste « Prenez ce Couteau » ont monté une exposition « Des corps, un espace » qui tournera dans différents lieux d’exposition durant l’année 2017. Leur but est de montrer qu’il existe, dans un monde de l’art un peu trop monochrome, une création artistique en dehors des cadres officiels qui n’en est pas moins légitime.

Elles sont quatre et chacune d’une couleur différente. Ce ne sont pas des cartes à jouer mais des jeunes femmes féministes surmotivées. Ensemble, ces passionnées d’art ont en effet décidé que la partie se joueraient avec elles. Par leur engagement les membres du collectif veulent à la fois lier le monde de l’art et le monde militant. Par cette exposition ouverte à tous et gratuite, elles veulent montrer qu’il existe une création artistique de haut niveau en dehors des cadres officiels, « ces artistes ont toutes leur légitimité à exister et à être considérer. ».

Qui occupe l’espace public aujourd’hui ? Comment notre corps est-il perçu dans cet espace ? Qui y est légitime ? Comment le percevons-nous ? Leur choix du thème du « corps dans l’espace public n’est ainsi pas anodin. Un thème très large qui ouvre sur des enjeux politiques, poétiques dans une société qui ne cesse d’évoluer et de se chercher. Et sa jeunesse aussi. Pour ces jeunes femmes, ce qui se passe dans le monde de l’art est symptomatique de ce qui se passe dans l’ensemble de la société. Pour Élodie, co-fondatrice de Prenez ce Couteau « On cherche à échanger. On se demande si on vit dans un monde qui est bon ou pas pour nous, si on ne peut pas le faire évoluer. Après nous on est dans le milieu de l’art donc on s’affirme comme ça, mais il y aurait d’autres manière de le faire. C’est une question plus globale sur la société. C’est aussi permettre ce que l’art permet, en prenant plaisir à aller à la rencontre de quelque chose qu’on a pas l’habitude de voir. ».

Elena, Corinne, Élodie, et Majda n’avaient jamais monté une exposition avant celle-ci. Un sacré défi que ces femmes se sont lancé en mars 2016. Au mois de juin, sur le Tumblr du collectif et sur Facebook elles lancent un appel à projet à des artistes intéressés à l’idée d’exposer leur travail sur le thème « Corps dans l’espace public ». A leur grande surprise, elles reçoivent de nombreuses propositions aux formes artistiques variées, parmi lesquelles elles sélectionnent les travaux de 6 artistes. Au final les œuvres seront aussi bien des peintures, des photographies que des textes, des vidéos et une performance. « Notre choix reste subjectif, c’est nos goûts et notre interprétation de ce que l’on pensait correspondre au thème proposé. On n’est pas des expertes qui peuvent juger de la qualité d’un travail. Nous les avons sélectionnés selon notre sensibilité, et on avait envie d’un travail fini, abouti. » explique Élodie. Jeunes, culottées et exigeantes.

L’artiste zoHra devant son œuvre

Parmi les artistes présents lors du vernissage, zoHra détonne avec son manteau jaune pétant. Travaillant dans le social, elle passe tout son temps libre à écrire. Elle présente une œuvre où son poème est écrit sur un miroir. Ce poème parle du fait que, dans son quartier à Morsang-sur-Orge, « On ne voit jamais les gens s’embrasser dans la rue. Pour moi, ce fait anodin est représentatif du décalage qu’il existe pour des jeunes comme moi. Nous sommes pris entre 3 codes de conduites différents et parfois opposés : celui de la maison, celui du quartier et celui de la société, que nous avons appris à l’école. ».

The Nénettes on the Ground pendant la projection de leurs vidéos

Le collectif artistique The Nénettes on The Ground est composée d’une comédienne et d’une technicienne en cinéma qui ont souhaité rester anonymes. Elles ont décidé de travailler ensemble pour la création de l’exposition. Leur œuvre est composée de 3 vidéos diffusées en même temps. Dans chacune de ces 3 vidéos, la même comédienne a le corps recouvert d’un matériau à chaque fois différent : de publicités, de projection d’images filmée dans le métro, d’un graff, trois formes qui représentent à leurs yeux la culture urbaine dans ce qu’elle peut avoir d’envahissant. « Nous avions envie de parler de ce qu’est être une femme au quotidien, mais d’une manière différente avec l’idée d’un corps recouvert. Nous questionnons l’impact de la ville, de ses habitudes, de ses mœurs sur notre corps ».

L’artiste Mécistée Rhéa après sa performance

L’artiste Mécistée Rhéa réalisait une performance lors du vernissage, durant laquelle elle massait en silence des volontaires selon une méthode apprise au théâtre. Elle ne refuse personne et la fait avec toutes les ceux qui acceptent d’y participer. Cette performance existe depuis un an et elle la réalise en différentes occasions, à l’intérieur et à l’extérieur : « L’espace public est pour moi le lieu de confrontation de plusieurs intimes par une mise à disposition de soi pour les autres. Je voulais par cette performance remettre l’humain au centre par un principe simple : une rencontre qui se fait de manière uniquement corporelle, différente de ce dont on a l’habitude. ».

Leur critique vient de l’intérieur : sur les 4 membres du collectif, 3 ont fait des études artistiques. Elles parlent de leur expérience d’une réalité inégalitaire, qui selon elles, est due à des causes à la fois économiques, culturelles et sociales. Pour elles, des jeunes peuvent être motivés pour faire des études d’arts, mais la perspective de pouvoir gagner sa vie avec un « vrai » métier est sécurisante et rassurante. Elena, co-fondatrice de Prenez ce Couteau nous indique qu’« en classe prépa d’art, il y a plus de mixité car il y a plus de personnes qui viennent de milieux sociaux plus mélangés. Mais ils ne vont pas aux Beaux-Arts, où tu n’es pas sûr d’avoir un boulot au bout de 5 ans d’études. Y a rien de concret. Les personnes racisées ou venant de milieux défavorisés vont plutôt vers le graphisme ou des branches où tu sais que tu as un travail, car c’est concret. ». En effet pour en tant que jeune artiste qui s’installe «  si t’as pas d’aides, c’est super dur ». Mais Elena et Élodie soulignent qu’il n’y a pas que l’argent qui joue. Devenir ou non artiste est aussi une question de légitimité et de culture. « Parfois la culture dont tu es issue fait que ce n’est pas du tout commun de faire tel ou tel métier. Il faut pouvoir imposer ses choix à son environnement familial. Il y a plusieurs barrières qui peuvent se présenter du coup. Ce n’est pas très sécurisant. ».

Prenez Ce Couteau veut donner une place à des artistes talentueux, mais qui n’ont pas la chance d’avoir fait des études d’arts ou d’avoir la possibilité d’exposer car ils sont issus des minorités. Dans leur manifeste, les quatre jeunes femmes constatent que la situation dans le monde artistique actuel est bien loin de représenter leurs réalités plurielles. Elles y dénoncent une économie de spéculation derrière le marché de l’art et un milieu professionnel élitiste, avec une invisibilité des minorités. « Dans un pays où [toute une part]de la population n’est pas blanche, on s’attendrait à observer une diversité raciale plus grande au sein des écoles d’art et du monde professionnel artistique. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous constatons également un sexisme rampant : si 60% des étudiants en école d’art sont des étudiantes (1), elles sont sous-représentées en arrivant dans la vie professionnelle. En 2011, moins de 30% des œuvres acquises dans les centres d’art étaient créées par des femmes (2) ».

Pour en savoir plus le facebook et le tumblr de Prenez ce Couteau 
Les artistes exposés :
ZoHra, Istina Ntari, Nicolas Medy, Mécistée Rhéa, The Nénettes on The Ground, Elena Moaty.

L’exposition est gratuite et accessible aux personnes à mobilité réduite.
Prochaines dates : samedi 4 et 5 mars 2017 à l’Espace des Arts sans Frontières, 44 rue Bouret, 75019 Paris, au métro Jean Jaurès.

(1): Source

(2): Source

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Infos de l'auteur

Babtou rousse ayant grandi à Trappes, j'aime les vieux livres, l'art, le théâtre, la danse, le cinéma. Côté étude : diplômée en reliure-dorure à l’École Estienne, je suis actuellement en licence de Préservation des Biens Culturels à Paris 1. Je m'intéresse beaucoup aux questions de culture, de transmission, d'environnement, d'histoire dans les sociétés. J'aime apprendre des autres de nouvelles choses.