Nicolas Kaczmarek enseigne au collège Gustave Courbet à Trappes. Il présente ses conclusions sur les causes de l’échec scolaire de nombreux élèves issus des quartiers populaires et les moyens de l’endiguer.
Katia Nunes : Depuis combien de temps enseignez-vous dans un collège situé dans un réseau d’éducation prioritaire (REP) ?
Nicolas Kaczmarek : Je suis arrivé au collège Gustave Courbet de Trappes en 2008 ; donc, cette année, c’est ma neuvième année dans ce collège. Au départ, j’y suis arrivé comme remplaçant, ça a duré deux ans, c’était deux années qui n’ont pas été pas faciles. C’était deux années fatigantes, un peu frustrantes, parce que j’avais le sentiment de ne pas mettre mes élèves suffisamment en réussite. J’ai décidé de rester et de travailler pour améliorer les choses.
K.N : Quels sont les éléments qui, selon vous, expliquent le désintérêt et l’échec d’un grand nombre d’élèves issus des classes populaires ?
N.K : Je pense qu’il faut remettre les choses dans l’ordre. Je pense qu’il y a d’abord de l’échec et que c’est cet échec qui crée du désintérêt. Souvent, on pense que les élèves des classes populaires se désintéressent de l’école et que, comme il n’ont pas d’intérêt pour les matières enseignées, ils sont en échec scolaire. Moi, je suis convaincu que c’est l’inverse, que tous les élèves arrivent en CP avec leur cartable sur le dos et l’envie de réussir, mais que, rapidement mis en échec, leur envie s’érode. Donc, la vraie question qu’on doit tous se poser est : pourquoi les élèves des classes populaires sont-ils plus en échec que les autres, et, surtout quand on est enseignant comme moi, tenter de remédier à cet échec. Je fais le pari que l’échec vient avant tout des pratiques pédagogiques enseignantes. Il y a cinquante ans, l’école était basée sur la transmission des savoirs par l’enseignant et on demandait aux élèves une restitution fidèle de ce savoir et ça suffisait pour réussir à obtenir son certificat d’études. Depuis, il y a eu un vrai saut qualitatif, et c’est tant mieux. On demande aujourd’hui beaucoup plus aux élèves des efforts de problématisation, de découverte par eux-mêmes d’un certain nombre de notions, de maîtrise de la démarche expérimentale… Mais notre devoir est d’enseigner les méthodes qui permettent ce saut qualitatif et de guider les élèves pour réussir ces exercices hautement exigeants. Les élèves des classes éduquées arrivent à l’école avec des pré-dispositions transmises dans le cadre familial : l’habitude de traquer les sous-entendus, de comprendre qu’il y a de l’implicite…A ceux qui n’arrivent pas avec ces pré-dispositions, il est du devoir de l’École de leur fournir les ressources nécessaires pour réussir à l’École.
K.N : A quelles occasions vous êtes-vous rendu compte que les programmes scolaires contiennent ces savoirs et ces méthodes implicites dont vous venez de parler ?
N.K : Ce ne sont pas forcément les programmes scolaires qui sont en cause. Les programmes scolaires listent le contenu de ce qui doit être enseigné, pas les façons de faire. Les méthodes et formulations sont libres pour l’enseignant. L’enseignant, en plus de sa formation initiale et continue, va partir, je pense, de son expérience d’élève et là il y a un souci. Les enseignants du second degré étaient tous de bons élèves. Ils doivent aujourd’hui en tant qu’enseignants mettre en place des situations pédagogiques pour que tous les élèves soient capables de maîtriser les connaissances et savoir-faire de leur discipline. Mais c’est difficile d’imaginer à quelles difficultés vont être confrontés les élèves qui, a priori, ne sont pas tous de bons élèves comme eux l’étaient. Alors quand on donne une évaluation à ses élèves et que, sur deux ou trois questions, il y a l’intégralité des élèves qui a faux, on ne peut pas se dire que ce sont les élèves qui sont en cause. Il faut reprendre son cours, reprendre son évaluation et analyser ce qui a pu mal se dérouler. Profiter des erreurs des élèves pour gagner en lucidité sur ce qui fonctionne ou non dans notre cours.
K.N : Est-ce qu’il y a pour vous d’autres choses qui peuvent paraître naturelles, explicites pour le professeur et qui ne le sont pas du tout pour des élèves, et quelles sont vos méthodes pour les rendre explicites ?
N.K : Je peux vous donner différents exemples de pratiques pédagogiques qui me sont venues avec le temps. Je ne les ai pas trouvées dans une formation, je les ai bricolées et construites grâce à l’expérience. Premier exemple au sujet des questions posées aux élèves. En Histoire-géographie, il y a quelques formules types qui introduisent les questions : “relevez des informations…”, “citez”, “expliquez”, “déduisez”, “décrivez”… Moi j’ai pris le parti d’afficher dans ma classe une définition de chacun de ces termes. Ce sont des prérequis, alors je les leur donne systématiquement.
Deuxième exemple, toujours sur les questions. Moi j’ai pris le parti de dire à mes élèves qu’on peut classer toutes les questions en Histoire-géographie en quatre catégories et pas plus : la question où on va demander de prélever des informations dans un document, une question où on va demander d’expliquer un passage ou une idée du document, il y a la question où on va demander à l’élève d’éclairer des informations du document grâce à ses connaissances personnelles et puis les questions où on utilise ses connaissances pour répondre à une question annexe au document. J’ai fait une affiche avec mes élèves pour indiquer comment les repérer. Chaque type de questions commence par un certain type de mots. Et donc pour chaque type de question, j’attends un type de formulation de réponse précis que je leur explicite.
Enfin, un dernier exemple important, c’est celui des évaluations. Je suis arrivé à un système dans lequel je construis à chaque fin de chapitre mes évaluations avec mes élèves. On prend une heure, dans laquelle on reprend tout le chapitre, on récapitule bien quelle était la problématique du cours, on réfléchit au plan du cours écrit dans leur cahier. On élabore les questions du contrôle concernant chaque morceau du cours. Les élèves font des tas de propositions, je corrige, on discute, ils doivent se mettre à la place du prof. Ainsi ils se rendent compte qu’en Histoire-géographie, le professeur ne pose jamais des questions aussi faciles que « Quelle est la date de… ? ». En fait, en Histoire-géographie on passe notre temps à leur poser des questions sur des processus, des rapports de causalité… A la fin de l’heure, les élèves repartent avec la liste des questions de l’évaluation. Ils savent alors quoi réviser et peuvent s’entraîner sur les questions qu’ils retrouveront le jour de l’évaluation. On établit un lien de confiance, ils comprennent que pour moi l’évaluation n’est pas un piège, juste un contrôle que la relation pédagogique entre eux et moi a bien fonctionné.
K.N : Et cette préparation poussée des évaluations, l’explicitation des consignes, est-ce que ça permet de réduire les différences de niveau entre les élèves plus ou moins familiers avec ces codes attendus de l’école ?
N.K : J’en suis convaincu. Je vois des élèves en difficulté faire de vrais progrès, être capables d’avoir des notes qui sont très correctes alors que par ailleurs ils sont considérés comme des élèves en difficulté. Je suis convaincu que si les pratiques que j’évoque ici étaient plus massives, on pourrait améliorer véritablement les résultats d’une très grande masse d’élèves. On se rendrait compte qu’ils ne sont pas tous dyslexiques, dysorthographiques, hyperactifs, parce qu’aujourd’hui, pour trouver une explication à l’échec scolaire on se dit qu’il y a forcément un problème cognitif, médical, etc…C’est une sorte d’échappatoire pour ne pas trop se remettre en question. Il y a certes des élèves qui ont des problèmes médicaux ou affectifs graves mais ce n’est pas 50 % d’un collège. Les enseignants, d’après moi, pratiquent un enseignement qui n’est pas assez explicite, qui ne guide pas suffisamment les élèves, mais ils le font parce qu’ils savent aussi qu’il y a des élèves dans leur classe qui n’ont pas besoin de ça, des élèves “à facilités” on va dire. Les enseignants ont le sentiment qu’ils doivent faire cours aussi pour ceux-là. Mais j’ai parfois l’impression qu’on fait d’abord cours pour ceux-là, parce qu’il ne faudrait surtout pas les freiner.
K.N : Donc ça veut dire que pour vous, l’échec scolaire n’est pas que la cause d’un manque de culture scolaire des élèves et de leur famille ?
N.K : Je n’ai pas de scrupules à dire qu’il y a d’abord une responsabilité du système scolaire. De toute façon je ne peux pas dire autre chose ; je suis enseignant, je dois d’abord regarder ma responsabilité. Je ne peux pas arriver au collège tous les matins en me disant : « Je fais tout ce qu’il faut comme il faut, l’échec scolaire, c’est de la faute des familles, c’est de la faute des élèves, on ne peut rien faire. ». Ma prise à moi sur ce problème, c’est la pédagogie. Notre devoir d’enseignant est de chercher comment améliorer les choses du point de vue de l’institution scolaire. Je ne connais que des enseignants de bonne volonté, ils ne sont pas là pour mettre les élèves en difficulté, reproduire un système qui les met en échec. C’est que l’institution ne leur apporte pas les ressources nécessaires, les formations nécessaires, la lucidité nécessaire pour modifier un certain nombre de pratiques pédagogiques. Je propose là un certain nombre de pistes, j’espère qu’elles feront leur chemin, que des enseignants auront envie d’en discuter. Donc oui, le système doit se regarder en face, les enseignants doivent se regarder en face. On ne peut pas se contenter de la situation d’aujourd’hui.
Lien vers l’article de Nicolas Kaczmarek « L’exigence intellectuelle en pratique » sur le site du Groupe de Recherche sur la Démocratisation scolaire (GRDS):
https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article256″