Premières études de galères administratives et financières


Clara a grandi et étudié à Trappes. Au moment de se lancer dans ses études universitaires, à Paris, elle a connu la dure réalité du compte en banque à sec et des premiers problèmes administratifs à résoudre.

 

Avant de rentrer dans le supérieur, je n’avais pas d’argent, ma famille non plus. Ma mère est endettée à vie à cause des loyers de notre ancien HLM qu’elle ne pouvait plus payer quand mon père est parti. J’ai donc été longtemps frustrée de ne pas pouvoir m’acheter toutes les choses que je voulais, une nouvelle paire de chaussures de marque par exemple, parce que j’avais honte d’aller au collège avec des chaussures Décathlon. Je me rappelle qu’en 3ème, un de mes camarades jugeait les chaussures de toute la classe. Arrivée aux miennes, il les regarde, me dévisage et sanctionne : « j’valide ap ». C’était à cette même époque que je commençais à rêver d’avoir une paire d’Adidas, comme tous les autres.

À la fin du collège, j’ai eu le brevet avec la mention bien, comme ma sœur jumelle, ce qui nous a permis d’obtenir toutes les deux une bourse au mérite, en complément de notre bourse sur critères sociaux. À partir de la seconde, ma mère touchait donc 4 bourses chaque trimestre. Avec ces sous, elle pouvait payer le loyer, jusqu’en terminale, quand je suis allée à l’internat. Ma mère payait l’internat avec ma bourse. Quand j’arrivais à mettre quelques sous de côté, je les gardais bien au chaud. Je détestais dépenser. Quand je craquais, je pouvais pleurer de culpabilité, du genre : « Mais t’es conne d’avoir acheté une cannette de coca, ça te sert à rien ! ».

Depuis que j’ai 18 ans, depuis août dernier, c’est moi qui touche directement ma bourse, et plus ma mère. En septembre, après avoir obtenu mon bac et en entrant à l’université, c’est donc la première fois que je touchais réellement de l’argent, 567 euros, grâce à cette grosse bourse.

Pour toucher la bourse, je devais constituer mon dossier social étudiant, mon DES, auprès du Crous. Mais j’ai commencé à constituer mon dossier assez tard. Et je n’avais pas tous les papiers, notamment un document justifiant que ma mère était un parent isolé, chose qui était compliquée à prouver pour de multiples raisons. Résultat, au moment de l’attribution des logements par le Crous, je n’étais pas reconnue boursière. Et comme les logements Crous sont réservés en priorité aux étudiants boursiers, je n’avais pas pu avoir un logement.

"J’ai eu au final de la chance ! Mon logement est neuf, et tellement insonorisé que j’ai l’impression de ne pas avoir de voisin. Au niveau de la taille, 21 m² c’est parfait"

Avec le soutien de mon assistante sociale, j’ai tout de même pu obtenir un logement dans une résidence étudiante, dans le 13ème arrondissement de Paris, tout près de ma fac, après avoir rempli autre dossier plein de Rib, de fiche d’impôts, de chèque et d’autres choses encore. Mon dossier, passé en commission et validé, m’a permis d’obtenir enfin un logement, le 5 octobre 2021. Et j’ai eu au final de la chance ! Mon logement est neuf, et tellement insonorisé que j’ai l’impression de ne pas avoir de voisin. Au niveau de la taille, 21 m² c’est parfait je trouve. Je ne me sens pas à l’étroit. Puis, j’ai quand même un grand balcon ! Et, cerise sur le gâteau, il est à 10 minutes à pied de la BNF, mon endroit préféré. Bref, j’ai eu de la chance. Pourtant c’est à ce moment-là que tout a basculé, quand j’ai eu les clefs au creux de ma main.

En octobre, je dépense beaucoup d’argent pour mon installation. Je n’avais pas des problème d’argent, étant donné que je paye mon loyer en fin de mois, après avoir reçu l’argent de la bourse. S’ajoute à cela que pour mes 18 ans, ma grand-mère m’avait envoyé un chèque, de quoi payer mon permis. Je les ai mis de côté, et ça me servira bien. Le mois suivant, en novembre, c’est la première fois que je paye mon loyer de 420 euros, sans avoir encore touché les APL, mon dossier de demande étant en cours de traitement. Pas grave, me voilà dans un magasin Action à acheter de la vaisselle, des produits ménagers, balai, coussin, couette… Et puis j’ai acheté des vêtements, surtout jeans et ces fameuses chaussures. Je faisais mes courses d’étudiante à base de pâtes et de riz, de sauces et fromages pour les accompagner. Au final, même rythme de dépenses au mois de novembre qu’au mois d’octobre. Je ne ressentais pas que ma bourse n’était pas assez grosse pour que je dépense de manière illimitée.

En décembre, je ne touche toujours pas d’APL, mais je touche 150 euros en plus de la part de l’État, en raison de la situation sanitaire. Avec 150 euros, certains auraient économisé, mais moi j’ai acheté n’importe quoi, ou plutôt toutes les choses que je ne pouvais pas m’acheter avant : une paire de chaussures de ville, des tee-shirt de « La Femme » pour ma sœur, du maquillage pour ma mère, plein de livres politiques pour mon plaisir et des plus classiques pour les cours et …. même un petit piano pour chez moi que je rêvais d’avoir toute petite, quand j’allais en vacances à Bordeaux, chez ma tante, pendant lesquelles je pouvais passer toute la journée à jouer avec celui de mon cousin. Aujourd’hui, quand les cours me stressent, je fais du piano en m’entraînant à partir de vidéos YouTube, pour calmer mes angoisses, et après j’arrive à reprendre ce que je faisais.

"Quand je me suis connectée à mon compte en banque à la fin du mois, je me suis retrouvée avec 1 euro, pile. Me voilà obligée de rentrer chez ma mère."

Quand je dépensais de l’argent, je me rendais compte que si je continuais à dépenser à cette allure, j’allais finir par ne plus pouvoir payer mon loyer, et c’est une limite que je ne voulais surtout pas franchir. J’ai donc arrêté de dépenser pour des achats comme des vêtements, mais j’achetais encore des produits de marque quand je faisais mes courses, et quelques produits dont je n’avais pas besoin. Mais, au final, quand je me suis connectée à mon compte en banque à la fin du mois, je me suis retrouvée avec 1 euro, pile. Me voilà obligée de rentrer chez ma mère, car je ne pouvais pas terminer le mois. J’ai eu honte, j’avais l’impression d’avoir échoué. Quand j’étais au lycée, avant de devoir gérer mon argent en prenant un studio, je me suis toujours dit que j’allais m’en sortir avec l’argent, puisqu’avant, même quand j’avais des sous, je ne le dépensais jamais. Mais je pensais cela, car justement je n’avais pas d’argent à dépenser. En ayant pour la première fois pas mal d’argent, j’ai voulu rattraper toutes mes frustrations, et ça m’a fait entrer dans un cercle vicieux. Malgré tout, ça a été un déclic. Je suis donc restée une semaine, ce qui m’a permis de me rendre compte qu’il fallait que je fasse attention à mes comptes, que je calcule ce que j’achète et que je réfléchisse à l’utilité de ce que j’achète.

En janvier, une fois rentrée de chez ma mère, je recevais bien ma bourse mais j’avais toujours des problèmes d’APL. C’est l’organisme gérant ma résidence, comme dans toutes les résidences pour étudiants, qui a fait directement la demande d’APL. Nous, les étudiants, on devait juste envoyer notre fiche d’impôt. Le traitement du dossier prend entre 1 et 3 mois, pendant lesquels on doit payer entièrement notre loyer, en se disant que bientôt, on touchera les APL. Pourtant, au bout de quelques semaines, au mois de février, alors que les APL ne sont toujours pas versées, après être allés demander en groupe plus d’informations auprès du gestionnaire de notre résidence, je décide de harceler la CAF au téléphone. J’appelle tellement que la CAF me dit : « Vous nous appelez beaucoup, vous avez toujours un problème ? ». J’apprends que nos APL sont en fait envoyées à la Régie immobilière de Paris, et pas au gestionnaire de notre résidence, qui n’avait pas envoyé son bon RIB à la CAF. Résultat, moi et mes premiers voisins, on s’est retrouvés à payer notre loyer entièrement pendant des mois. Personnellement, j’ai attendu 5 mois avant de toucher mes APL. Je me suis alors rendu compte d’une seconde erreur : je touchais le montant d’APL d’une étudiante non-boursière. Je suis donc passée de 131 euros d’APL à 230 euros. Arrivée au mois de mars, je me retrouve à ne pas devoir payer mon loyer pendant les trois mois qui suivent, puisque ma résidence a enfin reçu tous mes APL de novembre à février, d’un seul coup.

"Au début, le côté administratif m’angoissait. Je remettais tout au lendemain, pour au final ne pas les faire."

Grâce à mon acharnement, j’ai réussi à débloquer la situation. Je suis quand même contente, car mes problèmes de CAF qui ont débloqué ma situation, c’est grâce à moi et moi seule. C’est la première fois que j’ai été confrontée aux problèmes dit adultes : payer les factures, le loyer, les courses, être à jour dans les procédures administratives… Au début, le côté administratif m’angoissait. Je remettais tout au lendemain, pour au final ne pas les faire. Puis c’est chiant quoi ! Même si ce n’est pas toujours bien de se la raconter, je suis fière malgré tout de gérer le stress administratif, de faire le dossier de la CAF, de renvoyer des papiers aux impôts, de renvoyer des papiers à la bourse, de redéclarer ma situation à la CAF, d’envoyer un dossier au Crous pour avoir encore d’autres aides, de gérer le stress financier en trouvant un moyen de finir le mois quand c’est difficile. Tout ça sans oublier de gérer en même temps le stress des études avec les partiels qui arrivent, la pression des professeurs, les mauvaises notes, en gardant la tête sur les épaules et sans aucune aide à côté.

Personne ne m’a appris tout ce que j’ai appris, notamment comment faire pour se déclarer aux impôts, ce que j’ai réussi à faire en janvier, afin de pouvoir me retirer de la fiche des impôts de ma mère, ce qui me permet de toucher un peu plus de sous auprès de la CAF. Se déclarer aux impôts, c’est simple, il faut juste se rendre à la caisse des impôts. Mais j’ai attendu plusieurs semaines avant de le faire étant donné que je pensais que je ne pouvais pas me déclarer aux impôts sans avoir un travail, et donc sans être imposable. Tout mon entourage me disait : « tu n’as pas de travail donc tu n’as pas besoin de te déclarer ».

Aujourd’hui, je commence à prendre mes marques et à m’en sortir. Et j’ai compris que je ne suis pas assez riche pour oublier de faire attention financièrement. Cette nouvelle vie m’apprend à gérer mon argent en calculant quand je fais mes courses, en faisant mes comptes via un tableur Excel, ce qui me permet de voir les mois où je dépense trop. J’ai tellement galéré ces derniers mois financièrement, que je n’ai plus envie de stresser de ne pas pouvoir finir le mois.

 

Clara Roy


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