Lican, 20 ans, à la recherche du temps d’avant


Lican, 20 ans, a arrêté prématurément ses études. Après le confinement, malgré son ambition, ses projets ont été remis en cause.

“Un jour je vais à une soirée, et il y avait une meuf qui travaillait au restaurant Veng Our. Je lui ai demandé s’ils recrutaient. Elle a fait : “ouai vazi tu peux postuler en ce moment, il recrute du monde”. J’ai fait “OK”. J’ai postulé et ils m’ont pris”. Lican Saavedra, 20 ans, habite chez ses parents à Elancourt. Assis sur un canapé à côté de son amie Théa, il raconte comment il a été amené à travailler pour un restaurant asiatique du centre commercial de Montigny-le-Bretonneux après avoir arrêté ses études.

Après l’obtention de son baccalauréat littéraire, Lican, avoue avoir « été recalé de partout sur Parcoursup ». Il a alors décidé d’optimiser son temps : « je me suis dit ; “nique sa mère, je vais travailler”. Et j’ai travaillé. Et travailler, c’est plus simple que l’école, estime-t-il, tu travailles et tu as de l’argent”. Avec humour, le jeune homme aux cheveux longs souligne un autre avantage de ce job, celui d’avoir “des sushis gratos. J’avais de la bouffe gratos, des tickets restos gratos”.

Travailler est aussi l’occasion d’une ouverture culturelle impossible ailleurs. Dans le restaurant, “il y avait la moitié de l’effectif qui ne parlait pas français. Il y avait deux Cambodgiens, une Thaïlandaise, le responsable était un Chinois, il y avait aussi un autre Chinois, un du Bangladesh, un Indien etc…” Cependant, ce passionné de musique explique, toujours avec une pointe d’humour que, certaines obligations du monde du travail ne lui plaisaient pas, comme par exemple “nettoyer la salle, la vaisselle, c’était pas très plaisant, et des fois, je faisais des soirées la veille, j’allais au taff alors que je n’avais pas dormi”.

On m’a dit : “tu passes en général, mais tu seras au lycée de La Plaine de Neauphle à Trappes”. Je leur ai dit : “ça marche”. J’avais réussi à les douiller avec l’option cinéma”

Lican passe ses années lycées au lycée la plaine de Neauphle à Trappes. Élève peu travailleur, son entrée dans un lycée général n’était pas sa première destination. Le lycée général de Trappes attire un grand nombre d’élèves pour l’option cinéma et théâtrale. Sans cette option, il lui aurait été impossible d’intégrer ce lycée. En classe de troisième, dans son collège de Montigny le Bretonneux, “on m’a dit : “tu passes en général, mais tu seras au lycée de La Plaine de Neauphle à Trappes”. Je leur ai dit : “ça marche”. J’avais réussi à les douiller avec l’option cinéma” explique-t-il a posteriori.

Redoublant sa première année de classe de terminale, Lican est un élève qui a du mal à concentrer son attention pendant de nombreuses heures sur les enseignements scolaires. “C’est pas les matières qui te saoulaient, mais juste les travaux” exprime son amie Théa à la place de Lican, qui acquiesce. Toutefois, il ne résume pas pour autant sa situation comme un décrochage scolaire “je n’aime pas le terme décrochage, mais je me suis lassé des cours, ça commençait à me saouler. Trop de travail.” Lican a beaucoup de mal avec l’histoire géographie, une matière qui demande beaucoup de concentration et d’apprentissage. Au contraire, les langues, et les arts sont des matières ou il s’en sort bien, car ces matières requièrent plus de pratique que de théorie. Cependant, le système scolaire demandant une grande quantité d’apprentissages théoriques, les notes de Lican s’en ressentent négativement.

Au terme de ses années de lycée, son dossier Parcoursup ne lui a pas permis de trouver une école correspondant à ses attentes “ils m’ont trop mis en liste d’attente, c’était grave relou. Après ça m’a saoulé”. Et il s’est décidé à entrer dans le monde du travail.

Si je veux faire une formation, j’ai les sous. C’est toujours important d’avoir des sous de côté

Avec nostalgie, il relate qu’il aimait “bien parler aux clients, la relation avec le client. J’étais sympa eux, je tapais vite fait la discute avec eux”. Son contrat de travail à 35h pour un SMIC, environ 1200 euros par mois lui permet d’économiser pour prévoir au mieux le futur, lui qui vit encore chez ses parents. “Si je veux faire une formation, j’ai les sous. C’est toujours important d’avoir des sous de côté” assène-t-il. Et avec cette ironie qu’il utilise fréquemment, sans doute pour se rassurer lui-même, il conclut : “j’économisais aussi pour acheter des bières !”.

Malgré ces précieux avantages liés à son travail, au bout de quatre mois de cette expérience, il se sent obligé de démissionner en mars de cette année pour terminer sa formation du Bafa, qu’il avait entamée avant sa prise de poste à Veng Our : “De base, je voulais travailler avec les enfants, et le lycée organisait le Bafa. Je devais quitter le travail parce que sinon, c’était mort pour le terminer. Le Bafa, il y a un temps limité pour le finir”.

Mais tous ses projets de vie sont tombés à l’eau en raison de l’épidémie de Covid, du confinement et d’un déconfinement dans un monde où beaucoup de choses ont changé. Après le déconfinement, Lican exprime au téléphone qu’avec déception, les projets qu’il avait en tête n’ont pas pu s’exaucer : “je voulais faire les vendanges parce que je suis passionné de vin, ou je voulais retravailler à Veng Our, mais ils ont réduit le personnel et ils ne reprenaient plus”. Il est conscient qu’avec la crise économique, l’embauche va se faire rare.

je voulais retravailler à Veng Our, mais ils ont réduit le personnel et ils ne reprenaient plus

Il avait aussi comme projet culturel, pendant les grandes vacances scolaires des mois de juillet et août, de faire un pèlerinage jusqu’en Espagne, mais là encore, la Covid 19 ne lui a pas permis de s’y rendre, entre ouvertures et fermetures de frontières aux touristes et risque de rester bloqué là-bas.

Néanmoins, il part avec ambition de trouver un employeur de tailleur sur pierre pour intégrer la formation des compagnons à laquelle il a été pris. Covid oblige, son entretien s’est passé par vidéoconférence. Il sort de cet appel en visio gagnant, et il se dirige vers la formation des Compagnons en tant que sculpteur sur pierre. “C’est une chance pour moi de faire partie des compagnons. Ils proposent des formations d’artisanat très complètes, très calées. Il y a tout et n’importe quoi, boulangerie, sculpture, mécanique…. J’aurais bien fait un truc dans le vin, mais il n’y en a pas dans les Yvelines. Mais il y a un truc de sculpteur de pierre et le CFA est sur Paris”. Pourtant, sans employeur, il ne pourra pas débuter sa formation. Là encore, la pression du manque d’embauche se fait entendre à la voix de Lican “Je vais trouver, je vais forcer. C’est chiant mais je vais réussir”.

 

Julie Roy


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